lundi 2 novembre 2015

Le jeu allemand et la crise des réfugiés (partie 2) 


L'Allemagne joue pour le moins une carte inattendue dans sa gestion du flux d'immigration clandestine (1) en provenance du Moyen-Orient et d'Afrique. Tout observateur du monde germanique sait que le peuple allemand n'a pas ou peu de tradition d'accueil des étrangers extra-européens au contraire de la France. 

L'Allemagne n'a d'ailleurs jamais pensé l'immigration ni en termes d'intégration ou d'assimilation ni même sous l'angle du différentialisme anglo-saxon (2). Nous avons vu dans les années 80 les nombreux problèmes d'insertions (professionnelles et sociales) des travailleurs turcs et par la suite les sentiments clairement hostiles envers leurs propres compatriotes de l'ex-RDA. 

Plus globalement, la Réunification achevée, des mouvements néo-nazis ont émergés dans des villes comme Leipzig ou Dresde à l'encontre des immigrés turcs mais aussi de travailleurs d'Europe centrale et de l'Est. Récemment enfin, la base électorale importante du parti néo-nazi NPD lui a donné une présence au Parlement européen depuis l'abrogation par la Cour Constitutionnel de Karlsruhe du seuil électoral de 3%. Aucun média ne s'est prononcé sur ce sujet, médias toujours promptes à dénoncer l'antisémitisme sauf quand il apparaît sous leurs yeux (cf l'Ukraine et le gouvernement pro-nazi de Petro Porochenko, le Hamas, les Frères Musulmans et l'UOIF en France (3), les courants wahhabistes et takfiristes en Europe (4)).

Comment expliquer dès lors au regard de cette histoire récente de l'Allemagne l'enthousiasme et l'insistance d'Angela Merkel à imposer une entrée massive de clandestins (approximativement 800 000 personnes pour 2015 et 2016 sous réserve de confirmation) quand le nombre d'immigrés légaux extra-européens en France est d'à peu près 200000 personnes par an? 

Comme le souligne à juste titre l'éditorialiste du WSJ Paul Craig Roberts dans un article publié par la Stratégic Culture Foundation (en français sur http://lesakerfrancophone.net/la-presse-prostituee-a-loeuvre/) ces déplacements sont principalement dus à la déstabilisation du Moyen-Orient (Syrie, Irak) et de la Libye (laquelle jouait un rôle économique important du temps de Kadhafi par les nombreux emplois offerts aux populations subsahariennes dans l'industrie pétrolière). 

Cette explication est cependant partielle. Pourquoi ces réfugiés se déplacent-ils vers l'Europe alors qu'ils ne maîtrisent ni les langues occidentales ni les us et coutumes? Pourquoi ce choix de l'Allemagne plutôt que la France ou l'Espagne plus ouverts à l'immigration? 

Cette deuxième question est corrélée à la première: 

- Quel est le statut réel de ces personnes? Fuient-ils des régions paupérisées à la recherche d'une vie nouvelle et d'un travail alors que l'UE compte au bas mot 26 millions de chômeurs ou cherchent-ils à se trouver un abri car leurs vies sont menacées? Enfin pourquoi ces déplacements comptent-ils essentiellement des hommes alors que le reste de la famille est censé être dans le dénuement le plus total? 

- S'il s'agit d'un mouvement économique, cela suppose que l'emploi soit déjà trouvé ou en passe de l'être par une coordination de la recherche dans le pays hôte à partir de celui d'origine de manière à assurer une fois nouvellement établi le renvoi d'une partie du revenu à la famille dans le besoin. Il ne me semble pas que ce schéma soit explicatif puisque l'essentiel de ces immigrés partent visiblement sans plan ni visa leur interdisant in fine toutes recherches sérieuses d'emplois sauf à se retrouver aspirés par les réseaux clandestins.  

Une autre question sans réponse: pourquoi choisir l'Allemagne plutôt que des Etats proches aux valeurs assimilables (essentiellement des sociétés islamisées)? 

Certes les conditions d'accueils au Liban (130 000 réfugiés syriens en début de conflit en 2011 à 800 000 dès 2013 et aujourd'hui à plus de 1,1 millions) sont déplorables mais des pays comme la Jordanie (plus de 630 000 dont 500 000 irakiens entre 2006 et 2011) en accueille proportionnellement beaucoup. Notons également que peu se réfugient en Iran pour la simple raison que la zone de conflit irakienne se trouve entre mais surtout que l'Iran continue d'accueillir de nombreux afghans fuyant l'instabilité d'un Etat pris entre les guérillas des Talibans et la présence calamiteuse des américains.

Il reste que les monarchies pétrolières (Emirats, Oman, Bahreïn, Arabie Saoudite) n'ont fait preuve d'aucune démarche d'accueil de ces peuples partageant pourtant comme eux la même foi en l'Islam. De même les Etats d'Afrique du Nord à l'exception de l'Egypte n'ont manifesté aucune velléité de soutien. (http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/02/accueil-des-refugies-syriens-la-turquie-le-liban-et-la-jordanie-en-premiere-ligne_4743310_4355770.html# ). 

Près de 2 Millions de réfugiés sont localisés en Turquie cherchant à remonter vers la zone économiquement atone qu'est l'UE alors qu'Ankara bénéfice d'une croissance de 2,9% (à la fin 2014 mais d'un chômage de plus de 11%). Ce qu'on peut ajouter est l'absence de tout soutien financier des USA et de l'UE aux Etats ayant accueilli ces déplacés (à l'instar de la profonde indifférence des mêmes pour les ukrainiens fuyant les combats dans le Donbass) sauf la proposition farfelue de l'Allemagne d'aider la Turquie en contrepartie de son entrée dans la zone (ce qui a stoppé net toute négociation sur un quelconque soutien). Il n'y eut de même aucune pression d'aucune sorte sur les monarchies pétrolières ni sur les Etats du Maghreb et les Etats d'Afrique subsaharienne principalement le Tchad. 

Si un reflux semble se dessiner depuis le début des frappes russes (http://fr.sputniknews.com/international/20151025/1019084369/refugies-regagnent-syrie-depuis-debut-des-frappes-russes.html), cette tendance doit être confirmée d'autant que le centre de gravité du conflit se déplace de nouveau vers Alep où vivent pas moins de 3 millions d'habitants. 

Le mouvement vers l'Europe ne semble pas pour autant se modifier. Il emprunte un chemin bien défini de la Turquie vers les Balkans puis vers l'Autriche et la Hongrie avant d'atteindre l'Allemagne. Les réfugiés africains s'orientent quant à eux vers la Grèce et non vers l'Espagne via le Maroc confirmant la Libye comme zone hors droit, offrant à un réseau de passeurs les possibilités d'un trafic lucratif de populations. La destination finale apparaissait être l'Angleterre mais la France, le Benelux ou l'Allemagne pourraient être des alternatives. 

En somme, toutes ces migrations impliquent d'une part le financement de la sécurisation des passages de frontières et d'autre part la logistique en transports, gîtes et services d'ordre induisant une recherche de réponse(s) à la question de l'organisation du déplacement de centaines de milliers de personnes, question que les médias français esquivent. 

A suivre

1) J'emploie ce terme à dessein dans une perspective nationale en opposition à la définition du Haut Commissariat aux Réfugiés qui qualifient ce flux de réfugiés. Le problème est aussi dans la sémantique utilisée car la définition du réfugié par le HCR ne correspond pas à celle du droit français inscrite dans une procédure de demande tout à fait officielle. Cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_d%27asile_en_France#Le_droit_d.27asile_et_le_statut_de_r.C3.A9fugi.C3.A9_dans_les_textes

2) On parle plutôt d'ethno-différentialisme comme il a cours dans la société américaine où chaque communauté vit en quelques sortes sur sa propre identité, son ethnie ou sa race supposée. Le différentialisme est la base idéologique du communautarisme. 

3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_des_organisations_islamiques_de_France

4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Takfirisme




mercredi 28 octobre 2015

Le jeu américain (UE, Moyen-Orient) - Partie 1


Le Traité Transatlantique (TTIP ou TAFTA en anglais) entre l'UE et les USA marquera une étape importante dans la stratégie globale des USA, la vassalisation de l'UE en étant qu'une étape (il existe le pendant du TTIP pour l'Asie avec le Traité Trans-Pacifique, lui-même barrage à toute émergence d'un monde multipolaire autour des BRICSA). Le TTIP représente en quelque sorte le volet économique de l'OTAN et sera, si le calendrier de la Commission est respecté, signé fin 2015 voire en début 2016 dans l'ignorance la plus totale des peuples.

En France, ni de référendum ni de loi votée par le parlement ne sont prévus pour sa ratification, seul l'UE en sera compétente en vertu du traité de Lisbonne. Le TTIP couvrira in fine tous les secteurs d'activité même s'il est fort possible pour des raisons politiciennes que des clauses transitoires de mise aux normes soient prévues dans des domaines telles que les services publics, les transports ou la culture. 

La mise en forme d'un marché captif pro-américain est visée ici avec en ligne de mire le démantèlement de ce qui reste de marchés protégés (dont l'enseignement, l'armement, la santé, les services sociaux et le droit du travail). Ce nivellement ouvrira des débouchés aux produits américains dans des domaines où ils sont encore peu présents en Europe et favorisera les fusions-acquisitions de sociétés qui ne seraient pas dans la ligne (cf ce qui est un avant-goût d'une mise au pas avec les amendes infligées à la BNP ou au Crédit Agricole voire l'affaire Volkswagen). 

Cette mise en place, nous le voyons aussi, ne peut se faire qu'avec la coordination de l'Allemagne dans son contrôle sur les Etats membres. Nous avons eu un aperçu de sa brutalité dans le traitement de la crise grecque, il se peut donc que le TTIP ne représente que le cadre légal d'une homogénéisation par étapes du marché européen, une approche par cercles concentriques en quelque sorte: d'abord la zone Euro puis le reste de l'UE. 

Hollande et Merkel sont d'ailleurs partis en croisade pour une plus grande intégration de chacun dans l'UE et pour le parachèvement non seulement d'un marché unique trans-américain mais aussi de la fusion des peuples européens. Le projet de Grand Marché ne peut en effet fonctionner que si les peuples ne présentent plus de dissimilarités, d'obstacles possibles à une plus grande fluidité des rapports commerciaux. Dans cette perspective, l'Allemagne jouera son rôle de porteur du "fardeau" de Washington, l'unification de peuples aussi divers et aux Histoires uniques se menant par l'introduction d'éléments culturels exo-européens: sans aucun outil d'assimilation, l'immigration clandestine massive en provenance d'Afrique et du Moyen-Orient jouera un rôle déstructurant au plus grand profit des multinationales et des politiciens. 

Pour être clair sur ce point: si une nation est la transcendance d'un peuple à travers un certain nombre de valeurs (liberté, égalité, fraternité, laïcité pour la France), peuple unifié par la mémoire de son Histoire alors il suffira simplement de diluer cette mémoire par des coutumes, des traditions, des croyances sans aucun rapport avec le passé du peuple hôte pour tendre à son effacement et c'est exactement ce qui est fait et est constitutif du projet américain. 

Sur un autre plan, l'agression à l'encontre de la Russie se poursuit avec d'une part l'enlisement du conflit en Ukraine et une partition désormais de facto du pays. L'Ukraine de Poroshenko privée du Donbass et de la Crimée est devenue un Etat vassal inscrit dans l'expansion de l'Otan à  l'orée de la Russie et cette stratégie de Washington peut déjà être considérée comme une réussite. Cette tentative d'affaiblissement de la Russie reste aussi et plus que jamais coordonnée à d'autres terrains d'opérations, la Syrie en tête. 

Des deux alliés de la Russie, la Syrie et l'Iran, la première semble la plus vulnérable et cette gestion du chaos peut correspondre à deux objectifs cumulatifs ou alternatifs. 

La première hypothèse repose sur une reconfiguration des pipelines dans la péninsule arabique avec pour socle une Arabie Saoudite reconfigurée mais stabilisée. L'idée serait d'amener gaz et pétrole vers la Turquie et l'Europe à travers un itinéraire passant par un Etat irakien sunnite et un Kurdistan nouvellement créé et financé par les USA empiétant sur le Sud-Est de la Turquie, le Nord-Est de l'Irak, le Nord-Ouest de l'Iran et une petite partie du Nord de la Syrie. 

Cette stratégie permettrait de couper l'approvisionnement russe en gaz/pétrole de l'UE et de rendre cette dernière de ce fait plus dépendante de la sphère américaine (gaz de schiste et OPEP) toute en affaiblissant Moscou dont le commerce extérieur repose encore pour une grande partie sur l'Ouest européen. 

Outre la reconnaissance d'un Kurdistan vassalisé mais stable, la contrepartie d'un tel plan sera l'émergence d'un califat avec pour capitales Médine et la Mecque.(cf http://visionsetperspectives2020.blogspot.fr/search?updated-max=2015-05-20T05:46:00-07:00&max-results=7&start=4&by-date=false). L'intérêt pour les USA serait à la fois d'obtenir un nouvel Etat proxy, le Kurdistan, tout en contenant l'EI dans un Etat bien défini et reconnu de facto par Washington. 

Un Iran affaibli, une Syrie bénéficiant d'un changement de régime de type "démocratie islamiste" à la tunisienne et Washington serait en bonne place pour d'une part faire sortir la Russie de la région mais aussi peser dans la fourniture de gaz vers la Chine. 

En rompant le pipeline entre l'Iran et le Turkménistan, les USA pourraient faire en sorte que la Chine se réapprovisionne auprès du Qatar ou à toute autre fournisseur du GCC (Gulf Cooperation Council) voire à terme auprès d'Israel, du Liban et de la Syrie compte tenu des réserves découvertes dans le Bassin du Levant. 

Même si ce scénario suppose une course contre la montre pour empêcher la Russie d'augmenter ses livraisons de gaz à Pékin, cette reconfiguration de la péninsule permettra aussi une exportation des djihadistes de l'EI vers le Caucase et l'Asie Centrale. Il n'en reste pas moins que tout repose sur une Arabie Saoudite stable, ce qui est loin d'être le cas en l'état. 

La synthèse d'un wahhabisme rétrograde et d'une monarchie absolue apparaît pour le moins délicate. La communauté chiite de l'Est du pays est en mesure de faire sécession dès qu'elle entreverra une brèche dans le pourrissement de la guerre au Yemen ("operation storm of resolve"). Dans un conflit l'opposant aux houthis chiites (Ansarullah) de l'Est du pays et soutenus par l'Iran, Riyad devra être attentive aux risques de déstabilisation d'Oman suite à la succession du roi Qaboos et parer à toute intervention sur sa frontière sud-est en cas de révolution islamiste financée par le Qatar et la Turquie ou de mouvement sécessionniste de type iranien (république islamiste).    

Une telle trame recèle plusieurs inconnues pour Washington et il semblerait qu'elle se contente d'une gestion du chaos dans la zone en faisant avorter ou différer les projets de gazoduc de la zone impliquant la Syrie et l'Iran et par extension la Russie et la Chine. 

L'immédiat sera l'objectif de mise hors d'atteinte de la Syrie dans sa participation à " l'Arab Gas Pipeline" reliant l'Egypte à la Turquie et passant par la Jordanie et la Syrie (Homs). 

L'affaiblissement de la Syrie reste alors crucial dans l'isolement de l'Iran et de la Russie. La tentative de manoeuvrer l'Iran dans le nucléaire civil n'a pour seul but que de saboter les acheminements de gaz vers le Turkménistan, la Chine (Xinjiang), le Pakistan et l'Inde. 

La récente intervention de la Russie fut-elle autorisée par l'ONU apparaît alors comme le piège désespérément tendu du Pentagone d'un enlisement possible de Moscou et d'un dérapage inévitable consubstantiel de ce modèle de conflit par Etats interposés.

A suivre

     

mardi 6 octobre 2015

2015 ou la communication du mensonge


Un PER à 23.85 sur le S&P 500 le 29 septembre appelle une remarque de forme et deux pré-conclusions sur le fonds. En passant sous la barre des 24 points, le PER entame par à-coups - et cela tient toujours de l’hypothèse - une baisse lente comparable à celle de 2007-2009 laquelle s’était étirée de 27,55 points au 1er Mai 2007 à 13,32 au 1er Mars 2009. 

Ce fléchissement du PER est doublement révélateur d’un dégonflement de bulle spéculative:

-  une correction en quelque sorte de la valeur action sur la valeur réelle de l’entreprise,

- et un amoindrissement du profit par-delà les réductions de coûts salariaux, des délocalisations dans les économies émergentes et la traque effrénée de plus-values financières à travers les opérations de LBO sur fusions/scissions et entrées en capital (principalement de start-up dans les domaines précédemment définis « Genetic, Robotic, Information society, Nano-Technology »).

Cette baisse du profit dans l’OCDE n’apparait pourtant pas dans les comptes des grandes capitalisations (pour les raisons que je viens d’évoquer) mais au travers d’un faisceau d’indices mettant en lumière l’essoufflement de l’activité mondiale. Les cours s’élèvent à 48,35 USD le baril au 25 septembre pour le WTI soit quasiment le plancher de janvier (46,59 USD au 13/01) et à 44,91 USD au 25/09 contre 45,15USD au 26/01 pour le Brent.

A première vue, un cours faible peut être corrélé à un ralentissement de l’activité mondiale. Or un tel constat s’oppose à l’évolution de la production mondiale de brut. Prenons une période allant de 1990 à 2014: nous constatons une augmentation par lissage de 1,20%/an. Elargissons notre perspective à l’approvisionnement global en pétrole (incluant le gaz liquide et assimilés): nous retrouvons une progression de 1,34%/an incluant 94 millions de barils/jours attendus pour cette année. Enfin comparons ces chiffres à la demande mondiale et nous obtenons un rythme de +1,83%/an.

Nous devrions donc observer des cours en progression constante et de faible volatilité mais il n’en est rien. De 1998 à 2011, la croissance du Brent/WTI a progressé de 41,70%/an mais a chuté de 16,15%/an par lissage entre 2011 et 2014: des cours artificiels donc, manipulés par une spéculation à visée géopolitique. Tout commentaire mettant en rapport une évolution des indices avec une évolution de la situation économique mondiale est à la fois faux et mensonger. Il n’y a aucun rapport de cause à effet.   
  
Dans cet ordre d’idées, revenons sur la situation de la Chine et notamment les appréciations plus que douteuses sur l’évolution du renminbi et sa santé économique.

Fixé autour de 6,30 renminbi pour 1 USD après la dévaluation opérée début août, les commentateurs se sont d’une part focalisés sur une confusion entre dévaluation et dépréciation et d’autre part sur la chute des exportations chinoises.

La dévaluation choisie par Pékin pour maintenir un niveau constant en volume et en valeur d’exportations a été voulue pour faire obstacle in fine à toute appréciation de la monnaie. Ainsi plus les exportations augmentent, plus le renminbi se valorise et risque à terme d’entrainer une baisse des ventes causée par un change onéreux pour les acheteurs. La Chine a donc dévalué non parce que son économie va mal mais parce qu’elle va trop bien par contraste avec une activité mondiale déclinante tant sur les zones de l’Ouest (UE et USA) que dans la zone Asie-Pacifique, Japon en tête.

Observons l’évolution des exportations brutes de produits chinois: celles-ci sont passées d’une base mensuelle de 118 Mds USD en janvier 2012 à 196Mds USD en août 2015. D’ailleurs, les exportations nettes (exportations-importations) de produits et services affichaient un excédent de 213 Mds USD en 2012 pour atteindre………..359 Mds USD en août 2015 en près de trois trimestres !

La zone Euro est devenue une zone de stagnation. Après avoir subi la valorisation artificielle du Dollar (notamment dans son change avec le rouble), l’inflation nulle semble aussi l’impacter. Il faudra bien entendu attendre les chiffres de fin d’année mais la demande de consommation semble nulle comme le révèle le taux d’inflation. Cela aura des conséquences sur le niveau des importations provenant tant de la zone nord-américaine que de la zone Asie du Sud-Est (où l’on retrouve l’inquiétude de Pékin sur un tassement possible de la demande s’il y a un renchérissement du renminbi) mais aussi sur les exportations.

Une entreprise sauf à être mondiale ne peut s’abstraire de son marché intérieur. Si le bénéfice provenant de son marché intérieur baisse, elle réduira ses coûts de développement sur l’exportation ce qui aura pour conséquence une baisse de volumes de celles-ci et un tassement de l’Euro (moins de ventes donc moins d’achats de devise européenne par les importateurs étrangers). Cette hypothèse devra être vérifiée dans les prochains mois.

La zone USD stagne elle aussi. Les tentatives de spéculation contre le rouble et la survalorisation des entreprises ne peuvent plus masquer une inflation nulle depuis le début d’année. Le S&P 500 a perdu plus de 8% depuis la mi-août impactant évidemment les autres marchés en Asie du Sud-Est et en Amérique latine.

Que nous regardions les marchés sud-américains (Argentine, Brésil, Mexique, Chili, Venezuela ou Colombie) ou ceux du sud-est asiatique (Corée du Sud, Taïwan, Malaisie, Indonésie, Singapour, Thaïlande et Inde), nous constatons des baisses de respectivement 15% en moyenne et de plus de 20% (Le MSCI Asia Region hors Japon a enregistré une baisse de -27,45% depuis Mai 2015).

La chine et ses satellites asiatiques comprennent que les marchés OCDE sont au bord de la déflation. Les marchés actions asiatiques comme sud-américains ont anticipé ce fléchissement.

En conclusion, cette baisse de l’activité des économies développées vers les économies émergentes se confirme par un index BDI perdant entre août et septembre 32,97% et repassant sous la barre des 900 points à fin septembre. Il y avait moins de 60 vraquiers en contrat sur les sept premiers mois de l’année soit une chute de 91% par rapport à 2014 sur la même période (il y en avait plus de 1200 en 2013).  Les commandes ont ainsi chuté de plus de 20% depuis le premier trimestre, baisse de la demande en minerai de fer et en charbon selon la Drewry Shipping Consultants mais aussi en cuivre, en aluminium, en zinc et en étain, en somme tout ce qui constitue la fabrication des produits de grande consommation.   


dimanche 30 août 2015

Liens entre la dévaluation du renminbi, les T-Bond US et le QE4


Le PER est à 25,20 au 28/08 reprenant  5% depuis le 25/08 après un fléchissement de près de 9% depuis le 17/08 soit une correction normale, me semble-t-il, dans une perspective baissière. 

Trois articles de Zerohedge me permettent de revenir sur la dévaluation du renminbi, la position de la banque centrale chinoise (la PBOC) sur les bons du Trésor US et enfin la question d’un nouveau QE de la Fed.

Le 11 Août, la Chine dévalue son renminbi (CNY) perdant 4% contre le dollar soit approximativement 6,40 CNY pour un 1 USD. Une dévaluation sert globalement deux objectifs et a un effet négatif :

- En baissant sa monnaie par rapport aux devises étrangères, le pays dévaluant améliore ses prix pour les produits exportés; la conversion étant moins onéreuse, les importateurs étrangers pourront acheter ces produits en plus grande quantité.

- La dévaluation permet à la banque centrale de préserver ses devises: le taux de change étant désormais plus défavorable pour la monnaie dévaluée, celle-ci rendra la conversion plus difficile ce qui permettra à la banque centrale de diminuer la vente de ses devises. Rien n’empêche par ailleurs celle-ci de continuer à acheter des Euros ou des USD et d’abaisser son taux de change.

- La contrepartie à ces deux objectifs est qu’en dévaluant,  les importations deviennent plus onéreuses. Il faudra plus de renminbi pour acheter un produit libellé en dollar ou en Euro. Or pour avoir plus de renminbi tout en maintenant le même niveau des exportations, il faudra vendre des devises. En vendant des USD, la Chine pourra maintenir un niveau suffisant de renminbi pour continuer à financer ses imports !

En conclusion, la dévaluation tout en préservant les réserves de change tend aussi à les faire diminuer: les exportations sont avantagées par une monnaie faible mais dans le même temps les importations sont lésées par cette même monnaie faible !  

Prévoyant cette dévaluation, la Chine, avant le 11 août, vendit une grosse quantité de ses dollars sous la forme de bons du trésor (à 10 et 30 ans de maturité) (http://visionsetperspectives2020.blogspot.com/2015/08/paniquea-bord-la-chine-se-debarrasse-de.html?spref=tw).

Après  le 11 août, les ventes continuèrent avec rien moins que 106 Mds USD en «  Treasuries »  sur deux semaines soutenant son plan de dévaluation. Pour mémoire, elle avait déjà vendu 107 Mds USD de bons depuis le début de l’année ce qui avait laissé Goldman « speachless » comme le rapporte Tyler Durden de ZH.

Toujours dans le même article, un des responsables « marchés émergents » de la Société Générale nous rappelle que la Chine possédait à fin juin 1271 Mds USD de bons mais les plus liquides (T-Bills d’un an maximum et T-Notes de 5 à 10 ans) ne représentaient que 3,1 Mds USD….

Sachant que les réserves de change chinoises sont normalement liquides au 2/3 composées au 2/3 d’USD, d’1/5 d’Euros et de 10% (50/50) de Yen et de Livres Sterling, la vente de titres à 10 et 30 ans tombe sous le sens mais ceci contredit l’avis de la SocGen ! 

Par ailleurs, au vu de la forte dépréciation de l’Euro et du Yen par rapport au dollar et au renminbi, il est aussi possible que la PBOC vende également des avoirs dans ces devises.

Les réserves en bons US de la PBOC  se situent à 134% d’un niveau recommandé de 900 Mds USD (soit le quart d’un total donné à 3694 Mds USD) et ces US treasuries peuvent être vendus à tout moment pour maintenir le niveau du renmibi.  S’il y a 100 Mds de bons vendus toutes les deux semaines, on peut imaginer ce qu’il en sera dans 18 semaines d’après ZH !

Un renminbi dévalué a aussi pour principal effet de mettre sous pression à la baisse les monnaies des autres économies émergentes (les BRICS): si celles-ci veulent continuer d’exporter vers la Chine, elles devront donc baisser leurs propres monnaies de manière à ce que leurs produits maintiennent leurs compétitivité-prix. Si les BRICS baissent leurs monnaies, elles devront donc aussi se prémunir en vendant des devises pour faire face à des importations renchéries ce qui peut avoir pour effet d’accélérer la liquidation des US treasuries qu’elles possèdent aussi dans leur banque centrale.

S’il y a vente de bons du Trésor par la Chine et les autres BRICS , le cours des T-Bonds déjà émis ne pourra que fléchir ce qui de fait  augmentera leur rendement à savoir le rapport entre le taux d’intérêt de l’obligation et sa valeur. Le marché obligataire commencera à baisser ce qui rendra plus difficile le financement des entreprises mais aussi le marché des prêts immobiliers. Si les emprunteurs émettent des obligations aux montants moindres tout en maintenant les mêmes taux, cela pourrait raréfier le crédit immobilier et de nouveau impacter ce marché aux USA. Dans cette perspective, la Fed ne pourra qu’intervenir pour abaisser le taux et soulager la pression financière des emprunteurs.

La Fed pourrait aussi relever son taux directeur pour accompagner le relèvement des rendements obligataires, elle permettrait de rentabiliser le marché des emprunts tant pour les prêteurs (taux plus élevés) que pour les entreprises et les ménages (immobilier) désormais ayant accès à de plus larges montants.

Les taux de la Fed remontant, les investisseurs internationaux se précipiteraient sur les Treasuries délaissant les monnaies des BRICS ce qui aurait pour principal effet de faire baisser ces dernières.

Les banques centrales des émergeants seraient alors contraintes pour financer leurs importations de vendre de nouveau des bons US renforçant la hausse des taux d’intérêt de la Fed provoquant in fine un krach obligataire: les obligations déjà émises à taux faibles ne vaudront plus rien et la Fed sera forcée de nouveau à baisser ses taux par un QE4 !!!

Pour nous résumer, le relèvement des taux de la Fed est attendu depuis des lustres afin de relancer l’inflation et le jeu normal du marché. Toute la difficulté sera de relever les taux sans crasher le marché obligataire ni mettre en péril celui des crédits et des « commodities ».

La déflation est quasiment installée aux USA comme dans la zone Euro; la Fed remonterait-elle ses taux dans ce contexte ? Si elle les remonte, les conditions de crédit rendues plus difficiles dans un tel contexte accentueront la déflation et le S&P 500 sera impacté (comment font les investisseurs pour acheter des actions sinon en empruntant !)..

L’ombre menaçante du Q4 est bien là..

Sources:









mercredi 26 août 2015

Les banques US restent systémiques!

Le Price Earning Ratio est désormais à 24,12 et devrait entamer une baisse dont la durée reste à définir. Pour mémoire, l’effondrement du PER dura pratiquement deux ans à partir de son plafond de mai 2007.

Les opérateurs semblent avoir compris la réalité d’une situation économique que nous avons montrée dès février 2015. Certes, c’est la Chine qui a, en dévaluant son renminbi, fait ce rappel douloureux: les occidentaux se confortaient d’une mise aux normes monétaires du renminbi et de son appréciation inéluctable de par son statut en devenir de monnaie internationale; un renminbi apprécié étant une aubaine pour les produits de l’OCDE de se vendre mieux.

C’était oublier que la Chine ne suit pas les règles du jeu OMC et fait encore du contrôle des changes: une dévaluation permet de maintenir sa balance excédentaire dans le cadre d’un volume d’échanges diminué.

En dessous des 600 points jusqu’au mois de mai, le Baltic Dry Index rebondit vers les 1200 début août profitant sans doute d’un Euro déprécié par rapport au Dollar, puis s’effondre en repassant de nouveau sous les 1000 révélant ce que l’on savait déjà: une reprise ne dépend absolument pas de jeux monétaires sur les changes mais de la structure de la demande de consommation et des revenus du travail qui la détermine.

Si le PER baisse, cela signifie que la valeur de l’action fléchit, entrainée par la prise de conscience que les profits ne correspondent pas au cours échangé (on l’a vu récemment avec Snapchat). Dans cette perspective, il se peut même que la baisse du PER ralentisse soit en clair une diminution des bénéfices !

Lorsque les actions baissent, toutes les entreprises cotées rencontrent plus de difficultés à se faire financer et à émettre des obligations à des taux bas. Elles seront au contraire contraintes à remonter leurs taux faisant vaciller des marchés obligataires submergés de titres aux rendements quasi-nuls (sauf à ce que la Fed lance un nouveau QE achevant de  décrédibiliser le Système).

Une facilitation monétaire ne fera en effet que souligner l’absence de croissance réelle de l’économie: le marché finirait par se crasher avec l’aide bien sûr des CDS.

Si les défauts ou les risques de défauts augmentent, les primes des CDS émis seront relevées d’une part pour permettre aux émetteurs d’accroitre leurs bénéfices mais aussi pour garantir aux assurés le remboursement de la valeur de l’obligation ou une partie de celle-ci.

Prenons un exemple : je suis l’entreprise NOIR et je souhaite me faire financer sur les marchés, ceux-ci étant dans une phase déflationniste avec un risque de réduction de mon bénéfice; j’ai pourtant le besoin de financer l’investissement nécessaire à la production de machines-outils répondant aux nouvelles normes européennes. 

J’émets donc sur le S&P 500 une obligation de 5M USD avec un taux plus élevé que précédemment parce que les résultats annoncés de l’entreprise s’annoncent moins bons que prévus.

Un investisseur, l’établissement financier BLEU souscrit à cette obligation et me verse mes 5M. Je lui verse chaque année un % de cette somme dit coupon. BLEU n’ayant pas confiance dans les perspectives du marché et dans la solidité financière de NOIR décide de s’assurer par un CDS si NOIR ne rembourse pas ces 5M.

BLEU fait appel à un vendeur de CDS, la banque ROUGE. ROUGE promet de rembourser les 5M à BLEU si NOIR fait faillite contre une prime d’assurance correspondant à un % du montant de l’obligation, ce % sera élevé car les perspectives sont mauvaises.

Pour BLEU, l’intérêt est désormais double: soit NOIR surmonte la crise et rembourse les 5M à BLEU soit NOIR ne peut pas rembourser et BLEU se fera rembourser ces 5M par ROUGE tout en lui remettant la créance qu’elle détenait sur NOIR.

Pour ROUGE, tant que NOIR est solvable, elle va toucher des primes alors qu’elle n’a absolument pas investi un dollar dans NOIR. Si NOIR fait faillite, elle devra verser les 5M USD à BLEU mais récupérera la créance envers NOIR pour pouvoir se faire elle-même rembourser. 

Dans ce schéma, nous voyons bien des intérêts contraires à l’œuvre. Certains opérateurs (les entreprises) ont intérêt à ce que le marché monte. Les prêteurs quant à eux sont totalement indifférents à la hausse ou baisse du marché: ils gagnent dans les deux cas de figure en empochant les intérêts de l’obligation (si le marché monte) ou en étant remboursé de celle-ci plus les intérêts déjà encaissés si le marché baisse.

Enfin pour les vendeurs de CDS, ils se retrouvent également dans une situation gagnante des deux côtés:

- le marché monte et ils auront empochés des primes d’assurances,

- le marché baisse, ils récupéreront une créance plus les primes déjà versées !!

Vous l’avez compris, les CDS font partie de ce que l’on nomme les dérivés d’autant qu’en réalité les CDS sont « naked » : l’acheteur de CDS n’a pas besoin d’être le titulaire de l’obligation. Il verse des primes pour une obligation qu’il ne possède pas, pour un risque qu’il ne supporte pas: tout l’intérêt réside dans une spéculation sur la valeur remboursée qui sera estimée dans le CDS.

Nous le voyons ici, les CDS ont permis un décuplement du volume des transactions par une exacerbation de la spéculation à la hausse ou à la baisse des marchés : dans les deux cas, les vendeurs et acheteurs de CDS comme les souscripteurs d’obligations sont tout le temps gagnants et appartiennent à la même famille d’opérateurs : les banques…

Si elles sont totalement gagnantes, pourquoi Lehman Brothers a-t-elle fait faillite? Simplement parce que si les actions et obligations baissent trop, le système dérape et implose. Il ne peut reposer trop longtemps sur des titres sans valeur concrète sauf à ce que la banque centrale n’intervienne une nouvelle fois.

Par exemple si le vendeur de CDS voit qu’il devra rembourser de plus en plus tout en récupérant une obligation dont il aura du mal à en avoir l’équivalent en cash verra son profit diminuer rapidement.

Idem pour le souscripteur de l’obligation qui verra de plus son profit diminuer si les primes des CDS augmentent. Si en outre les faillites augmentent, les vendeurs de CDS comme les souscripteurs d’obligations se retrouveront avec des avoirs qui n’en sont plus vraiment, ne correspondant plus à une activité réelle. A un moment donné, le système s’arrêtera et c’est ce qu’il a fait sans l’intervention de la FED en 2008/2009.

En 2012 les 6 plus grandes banques US étaient catégorisées « systémiques » (voir classement du Financial Stability Board ci-dessous) c’est-à-dire que la faillite de l’une d’elle peut entraîner une implosion du Système.

En 2014, elles sont toujours classées systémiques à la différence près que le montant des dérivés qu’elle possède à continuer de croitre ! Si l’on prend par exemple Goldman Sachs, leurs avoirs étaient de 938 Mds USD en 2012 pour diminuer à 856 en 2014 mais leurs dérivés sont passés de 44 352 Mds USD en 2012  à 57 312 Mds USD en 2014 !!
Bref une fois de plus, le marché s’écroulera par les banques.

Sources:



  

vendredi 21 août 2015

Le marché est-il en train de basculer?

Le PER (Shiller ratio) est aujourd'hui à 25,58 soit le quatrième jour de baisse. Comme nous l'avions dit, nous aurons soit une courbe en forme de plateau avec un PER autour de 26 pendant un temps soit le PER bascule vers un plancher encore indéterminé.  

Aussi notable est le cours de l'or. Nous assistons à une remontée du cours de 1117 USD l'once  au 18 août à 1155 USD ce jour soit une augmentation de 3,40% en trois jours. 

S'agit-il d'une hausse durable sachant que ce cours reste dans sa baisse largement manipulée par la FED. Si la hausse perdure, cela voudra dire que l'or perd son caractère de "commodity", de marchandise pour redevenir ce qu'il a toujours été, une valeur refuge. Autrement dit, si le cours remonte, cela signifie qu'il y a crainte des opérateurs sur les marchés actions et obligations. 

Le S&P tend à s'écrouler lourdement, passant de 2102 au 17 août à 2010 ce jour soit une baisse de 4,38% en quatre jours. 

Tyler Durden dans Zerohedge (http://www.zerohedge.com/news/2015-08-21/was-most-important-line-equity-market-just-broken) parle de point de rupture aujourd'hui en se référant à la Value Line Geometric Composite (VLGC) soit l'indice alternatif au S&P 500 pointant la moyenne géométrique des variations quotidiennes de 1700 valeurs (sociétés)  et passant aujourd'hui sous la courbe de tendance depuis le plancher de 2009.


 Nous verrons si tout cela se confirme la semaine prochaine.  

jeudi 20 août 2015

Anticipation sur les marchés actions via le PER.


Pour mémoire, le Price Earning Ratio ou PER est le rapport entre la valeur de l’action d’une société et son bénéfice net. Quand le ratio monte, cela signifie que la valeur de l’action s’apprécie beaucoup plus que la valeur réelle de l’entreprise, soit dit autrement:la valeur boursière est plus élevée que ce que rapporte réellement celle-ci. Il se peut même qu’il y ait pour un temps une déconnection entre la baisse du bénéfice et la valeur de l’action, l’écart pouvant provenir de prospectives positives à terme, de rachats, etc.

Si le ratio reste constant cela signifie que les deux valeurs sont corrélées. Si le ratio baisse, cela signifie que l’entreprise est appréciée à sa juste valeur mais aussi que son bénéfice baisse voire qu’il y ait des pertes ou des prospectives négatives.

Le PER calculé par le Pr Shiller prend en compte une moyenne du bénéfice des dix dernières années moins l’inflation. Il nous donne une vision relativement pertinente de l’évolution du S&P depuis le début des années 80 et nous permet d’envisager un crash (ou non) du Système.

Un ratio correct se situe entre 15 et 20 points; au-delà, nous entrons dans une phase spéculative. Un petit rappel chronologique nous permet de faire une prospective, à tout le moins d’énoncer quelques alternatives ayant trait à l’évolution du PER sur une longue période.


1) Le 11 Janvier 1994: entrée dans une zone spéculative à 21,41, PER qui s’est maintenu  un peu plus d’un an en plateau jusqu’à avril 95 (21,64).


2) Croissance continue du PER pendant quatre ans jusqu’à décembre 1999 atteignant un pic inédit depuis 1929 de 44,19.


3) Chute du PER en quatre ans pour retomber à 21,31 en mars 2003.


4) Au 1er janvier 2004, le PER se stabilisait à 27,66 pour y rester 3 ans et 3 mois jusqu’à mai 2007 avant de s’effondrer.


5) Spéculation depuis les premiers mois de 2010 (21,80 en avril de cette année) après une croissance continue de 13 mois à partir du plancher de mars 2009 à 13,32.


6) En février 2015 nous retrouvons le même pic qu’en mai 2007 (27,55), lequel s’est mué depuis en plateau jusqu’à aujourd’hui. Une suite de rebonds/fléchissements de faible ampleur (26,40 au 19/08 contre 26 au 1/07/15, 26,85 en mai contre 26,79 en avril) constelle cette ligne et peut se transformer en une baisse assez lente dans un premier temps puis accélérée dans un second. Nous étions en effet à 26,50 au 17/08, à 26,40 au 19/08 et à 26,37 au 20/08.  Attendons encore quelques jours/semaines pour pouvoir confirmer cette tendance.


Quelle conclusion tirer de cette chronologie? Le S&P (et les autres marchés qui y sont corrélés) a atteint son pic et n’ira pas plus haut dans les mois prochains car si tel avait été le cas, le PER aurait continué à grimper en février.

Une double question se pose donc:

- Combien de temps le S&P restera-t-il à cette hauteur ?

- Et à la pointe de ce plateau, va-t-il augmenter ou baisser ?

Les réponses dépendront des facteurs suivants:

1) La prise de conscience par les marchés de l’impact d’une inflation nulle et de la baisse de volume du commerce mondial sur le bénéfice.


2) La mise en place d’un quatrième QE pouvant éventuellement prolonger la phase de spéculation.


3) L’organisation monétaire des BRICS à savoir:

- le rôle du renminbi par rapport au dollar,

- la question de l’or ,

soit les deux enjeux auxquels la Chine et la Russie devront faire face appellent trois questions:

- Est-ce que les BRICS créeront un nouvel étalon monétaire assis sur l’or ?


- Est-ce que le renminbi deviendra une monnaie internationale donc constamment valorisée et jouant à la baisse sur les exportations chinoises ou la Chine continuera-t-elle d’utiliser le dollar et d’être dépendante des USA en contradiction ultime avec le système BRICS ?


- Quelle sera la position de la Russie quant à la fluctuation de sa monnaie par rapport au dollar et à une intégration plus forte de ses exportations au sein des BRICS en rivalité avec l’OPEP?

 



mercredi 12 août 2015

Chronique d’un krach annoncé (regard sur les CDS)

Pour illustrer le délitement en cours du Système, le « Credit Default Swap » ou CDS se révèle un indice financier pertinent que je n’avais pas mis en évidence jusqu’ici. Je me permets donc de corriger cette carence par l’analyse suivante.

A partir de l’existence d’une obligation, titre émis par un emprunteur (Etat, entreprises, établissements financiers) à des souscripteurs (prêteurs) échangeable sans formalité, de gré à gré ou en bourse, le créancier peut se couvrir contre un risque d’impayé (banqueroute, moratoire, restructuration) via un CDS. Il s'agit , en quelque sorte, d'un contrat d’assurance, lui-même négociable et côté en bourse comme toute valeur mobilière.

Au milieu des années 90, JP Morgan et sa responsable du service « dérivé » la sémillante Blythe Masters https://fr.wikipedia.org/wiki/Credit_default_swap) ont créé ce produit dans lequel l’assuré créancier de l’obligation paie une prime (dit prix ou « spread ») pour se faire rembourser en cas de défaut du montant (dit notionnel) de l’obligation. Plus le risque du débiteur est grand, plus la prime (1) est élevée. Inversement, plus le risque diminue, plus la prime est faible.

Que le risque concerne un Etat ou une entreprise, nous voyons immédiatement que le CDS est un bon indicateur des tendances en cours que avons tentées de décrire dans les articles précédents. Sachant qu’un Etat ayant une bonne capacité d’emprunt et de financement induit un spread entre 0 et 100 points, nous pouvons dès lors analyser les principaux acteurs du commerce mondial par zones.

A première vue, pour le mois de juillet, les primes CDS sur 5 ans (source Markit) sont en augmentation sur la zone Amérique Latine resserrée aux Venezuela, Brésil, Argentine, Uruguay et Chili. Ce relèvement du risque n’est cependant pas justifié par les dettes publiques, celles-ci  ayant des ratios tout à fait acceptables à la fin 2014, début 2015: 50% du PIB pour le Mexique, plus de 65% pour le Brésil, 45,6% pour le Venezuela, 38% pour la Colombie, 45,6% pour le Panama. En réalité, la négociation des CDS se fixe sur les taux d’inflation qui atteignent des proportions alarmantes telles 65% pour le Venezuela, plus de 21% pour l’Argentine depuis janvier selon que la source est l’INDEC(2) ou plus de 40,5% selon des sources privées depuis la dépréciation de 35% de la monnaie à partir de la mi-2013 (rapporté par le service « Economic Research » de la BNP).

On trouve dans une moindre mesure des taux relativement importants au  Brésil à 8,89% à la fin juin 2015 (le CDS est à 300 points de bases contre 228 en avril 2015 et 151 à la mi-2014) mais une inflation contrôlée au Mexique avec 2,87%, en Colombie avec 2,9% à la fin 2014, au Panama avec 2,6% ce qui explique la baisse des CDS pour ces derniers pays.

Le risque souverain existe donc par la monnaie: celle-ci se dépréciant dans son rapport aux devises étrangères, l’économie nationale subit une perte de valeur se traduisant par des coûts  de production/importations et un renchérissement des prix, cycle dès lors récessif entrainant une baisse de la demande et une augmentation du chômage ce qui est le cas pour l’Argentine depuis le troisième trimestre 2014 et ce, malgré un rebond de 1,5% début 2015.

Le CDS peut être une bonne mesure d’une dérive, d’un long dérapage des autorités monétaires, sans frein et sans direction vers le point de rupture de l’hyperinflation, crise de confiance dans la monnaie se traduisant par des taux dépassant les 100% d’inflation et une substitution des monnaies étrangères ou des métaux précieux. Les CDS sur l’Argentine à la mi-juin 2014 étaient à plus de 2500 points de base pour se maintenir par la suite dans une fourchette entre 1500 et 2000 points (à noter que les CDS d’un an avaient pris plus de 2500 points entre la mi et la fin juillet !).

Par contraste, le Venezuela avec 5970 points au 7 août et une récession de plus de -4% dérive vers ce fameux point de rupture. 

Au risque de me répéter, une monnaie dépréciée impacte tôt ou tard les finances publiques par une baisse concomitante des rentrées fiscales (faillites d’entreprises via le renchérissement des coûts et la baisse de la demande) et une hausse de la dépense en vue du maintien des infrastructures de l’Etat tant nationales qu’internationales.  Et pour cause, en un mois, le spread vénézuélien a pris plus de 1170 points. 

L’Argentine et le Venezuela constituent l’apex d’une situation sud-américaine tendant vers la maîtrise de son inflation. Le Chili et l’Uruguay ont des CDS dépassant respectivement les barres des 100 points et 310 points pour des taux d’inflation de 4,42% et de 9%, l’économie de l’Uruguay se ralentissant mais restant parfaitement sous contrôle dans une zone caractérisée par des politiques publiques corrompues empêchant toute bonne circulation du capital et profitant de facto aux entreprises étrangères principalement américaines mais aussi chinoises(3) et russes (particulièrement depuis l’embargo)(4) pour des investissements sous valorisés.

Tant que ces problèmes de maitrise de monnaies et d’investissements ne seront pas résolus,  l’Amérique latine restera une proie pour les entreprises étrangères. Sans embauche et sans dynamique fiscale, ces économies resteront dépendantes de leurs avantages naturels mais ceux-ci ne seront en rien un moteur de croissance. Sans relais/soutien dans l’économie comme nous l’avons vu pour l’Administration Chavez, la chute du brut n’étant pas dans ce cas la cause réelle de la récession du Venezuela, le contre-exemple étant la Russie.

La Russie se rétablit avec un CDS en baisse autour des 300 points (215 à la mi-2014), niveau étrangement élevé au regard de réserves de changes, d’or et d’énergies fossiles sans commune mesure avec le reste du monde. L’échec de l’attaque spéculative sur le rouble n’est que le révélateur de cet état de fait, le montant du spread ne reflétant en fin de compte que le niveau des sanctions contre l’économie russe et in fine un statuquo géopolitique.

De même, les énormes réserves de devises et d’or de la Chine et un renminbi s’appréciant internationalement contribuent à une valeur totale de CDS émis de 14,1 Mds USD à la mi-2014 soit un spread à moins de 80 à la fin 2014. Les CDS ont pourtant repassé la barre des 100 (101,6) au mois d’aout 2015 et augmenté de 8,21% depuis la fin juin et de 33,68 % depuis la mi-2014.

Cette hausse ne peut totalement s’expliquer par la baisse de croissance du PIB mais plus sûrement par la diminution des réserves de change et la vente des « US Treasuries » (cf article précédent) ce qui traduit un changement de cap dans les orientations économiques de Beijing, un cap désormais tourné vers la relation sino-russe, un commerce ouvert au renminbi et une diversification dans la répartition des créances souveraines. 

Tournons-nous maintenant vers la zone Euro: les CDS baissent alors que la zone est rongée par les dettes publiques et une stagflation persistante. Seule la BCE sustente le système par un financement hypertrophié au bénéfice des méga-banques européennes et américaines.

Plus précisément, l’Espagne se rapproche des 100 points pour une dette de près de 100% (sans l'addition des dettes des régions), l’Italie a dépassé les 112 points pour une dette de plus de 132%, le Portugal atteint les 164 points pour plus de 130% d’endettement public tandis que la Grèce a dépassé les 1900 points quand le déficit public est alourdi par près de 180% d’obligations envers des créanciers essentiellement privés.

Il apparaît que la moyenne des CDS (Allemagne, France, Espagne, Grèce, Italie,  Belgique, Pays bas, Irlande et Portugal) s'élève à 290 points soit pratiquement l’équivalent du Brésil et de la Russie). Si je rajoute la Suède et le Royaume-Uni, la moyenne tombe à 240. Si bien entendu, j’enlève la Grèce, la Grande Bretagne et la Suède,  nous retombons à 66 points ce qui nous ramène aux normes d’un risque de défaut faible mais dois-je le faire pour autant?

Nous sommes ici dans une situation délicate dans laquelle un artifice financier, les QEs de la BCE, soutient une zone endettée en moyenne à plus de 90% du PIB avec cependant quelques Etats vertueux comme les Pays-Bas avec 70% ou l’Allemagne avec + de 75%, je mets en effet de côté les Etats sans signification économique à eux seuls comme le Luxembourg, l’Estonie ou la Roumanie.

Quant aux USA, le spread est à 16 pour une dette publique dépassant les 110% début 2015 (sans prendre en compte les dettes cumulées des Etats fédérés), une inflation proche du nul voire négative (cf les chiffres en février 2015) et une population précarisée à 97%. Tout le système repose donc sur le dollar et, au regard de ce que nous avons vu avec la Chine dans le dernier article, tout peut basculer vers un retour aux puissances traditionnelles ancrées dans des devises aux valeurs assises sur les métaux précieux.

Les CDS souverains sont un indicateur certes intéressant mais insuffisant sans une compréhension complète des mécanismes d’endettements publics et de politiques monétaires. Seule l’approche géoéconomique nous offre une lecture des rapports de force en cours dont les acteurs émergeants que sont la Chine, la Russie et dans une moindre mesure le Brésil et l’Inde lesquels renouvellent ultima fine les critères du risque.

Inversement, le choix de soutenir des économies par des « facilitations » monétaires reste perçu par les opérateurs seulement sous l’angle de la puissance reconnue des Etats-Unis et de son vassal européen mais rien en l’état ne justifie ce contraste entre des primes faibles et des dettes astronomiques, entre une inflation nulle et des déficits commerciaux. Là encore le rapport de force est sous-jacent et c’est bien ce qui nous inquiète dans ces années charnières.  

 
(1) prime exprimée en points de base, un point de base valant 0,01%: par exemple si le CDS a un spread de 976 points de base pour un contrat de 1M USD, la prime annuelle sera de 97600 USD. Voir le blog des masters 111 et 211 de l’Université de Dauphine