lundi 24 novembre 2014

L’étau se resserre (première partie)

Le 4 novembre 2014, dans une discrétion remarquable des médias français, la Banque Centrale Européenne s’est dotée de trois nouveaux instruments particulièrement coercitifs dans le prolongement de l’article 126 du Traité de Lisbonne posant l’impossibilité des aides directes d’un Etat-membre envers son homologue en difficulté et la création a fortiori de structures adhoc (tel le Mécanisme Européen de Stabilité) gérées comme il se doit par cette même BCE.

Le premier par l’importance de son cadre est le SSM ou « Single Supervisory Mechanism » (Mécanisme Unique de Supervision): Il tendra (et je cite Wikipedia) à surveiller les principales banques de l’Eurozone, à en contrôler la stabilité financière, contrôle s’étendant aux établissements hors zone si ces derniers le souhaitent (à ce jour aucun n’en a manifesté le moindre intérêt, particulièrement au Royaume-Uni !).

Les banques ciblées sont les méga « Too Big To Fail » banques se définissant pour l’UE par l’un des cinq critères suivants :

-       - Actifs excédant les 30 Mds €;    
-       - Actifs dépassant les 5 Mds € et 20% du PIB de l’Etat de leur siège social;
-       - Une des 3 plus grandes banques de l’Etat concerné ;
-       - Activité importante à l’international ;
-       - Fonds reçus du Mécanisme de Stabilité ou du Fonds Européen de Stabilité Financière

soit à peu près 150 banques pour un total de 80% des actifs bancaires de l’Eurozone ….ce qui n’empêchera cependant pas la BCE d’auditer des banques plus petites (6000 banques!) mais indirectement via ce qui est appelé un « superviseur national » autrement dit une autorité sous tutelle préexistante ou non dans l’Etat considéré.

La marche du SSM sera fonction des décisions d’un Conseil de Direction (« Governing Council ») composé des banques centrales de l’Euro-zone et du Conseil Exécutif de la BCE, lui-même présidé par ce cher Mario Draghi (et déjà en charge de la politique monétaire de l’UE !), chaque décision étant elle-même préparée par un « Conseil dit de Supervision » (« Supervisory Board ») composé des « superviseurs nationaux », d’un président, d’un vice-président et, bien entendu, de quatre représentants de la BCE.

Une des fonctions affichées du SSM (mais le champ de compétences n’est visiblement pas exhaustif..) sera d’effectuer des stress tests. Si ceux-ci se révèlent négatifs, le SSM pourra envisager des mesures visant par exemple à corriger la capitalisation d’une banque, à en limiter les opérations à risques voire à intervenir sur la composition du management. Si le problème est systémique induisant une possible liquidation, le deuxième instrument (SRM) sera alors mis en place (voir plus loin).

Prima facie, et avant d’aller plus avant dans cette présentation, une question se pose:  comment, quant à la BCE, peut-on être à la fois contrôleur et une des principales parties prenantes du jeu financier via les deux LTROs lancés en décembre 2011 et février 2012 (programmes de rachats de créances à long terme détenus par les banques –soit des dettes !- pour 1000 Mds€) et la pratique copiée sur celle de la FED de taux de refinancement extrêmement bas favorisant la démultiplication de produits dérivés émis par la plupart des méga-banques, elles-mêmes créancières d’Etats-membres surendettés et soumis à des politiques d’austérité différenciées imposées par la Commission Européenne, la BCE (à nouveau !) et le FMI?

La BCE a cependant voulu aller plus loin dans ce refinancement débridé par sa tentative fin 2012 de rachat aux banques de dettes obligataires souveraines (un galop d’essai de 210 Mds € dit « Securities Market Program» ayant déjà été mené sous la gouvernance Trichet courant 2010-2011), tentative finalement bloquée par la cour constitutionnel allemande (Tribunal Constitutionnel d’Allemagne à Karlsruhe) le 11 Janvier 2014. Jugeant ces opérations contraires au principe de non-renflouement de déficits publics par un ou des Etat-membres et au mandat de la BCE de lutte contre l’inflation, la réponse de la BCE à cette opposition de la Cour fut donc de créer le SSM et de poursuivre in fine sa politique de refinancement accommodante par ses relais intra-zone au Luxembourg et à Malte et hors zone à Londres !  Il s’agit bel et bien d’une vaste supercherie offrant à la BCE une encore plus grande ingérence dans les différentes économies nationales! 

Il revient donc à la BCE et plus précisément à la concertation entre cette dernière et les méga-banques    d’établir de nouveaux standards, de nouvelles règles, connivences littéralement étouffées par les mass-médias et les responsables politiques UMP et PS, eux-mêmes artisans du Coup-Etat constitutionnel des 4 et 7 février 2008. Cette montée en puissance de la banque centrale s’inscrit évidemment dans l’esprit ultralibéral du Traité de Lisbonne l’autorisant à s’arroger le droit de faire rigoureusement n’importe quoi  sans en référer directement aux peuples mais en rapportant son action aux exécutifs des méga-banques et aux lobbyistes de la Commission et par extension via son président Mario Draghi (ex Goldmann Sachs Europe) au FMI (partie prenante de la dite « troïka »), à Wall Street (corolaire de la City de Londres et de Francfort) et à la FED (référent ultime de la politique monétaire de l’Eurozone).

A titre inaugural de ce nouveau paradigme, la BCE a publié le 24 Octobre 2014 son premier stress-test sur 130 « Too Big To Fail » banques d’importance.  L’audit dit indépendant à savoir sous l’égide d’un Conseil Spécial des Etats de l’Euro-zone composé de parlementaires des Etats concernés mais aussi (et surtout !) de représentants des secteurs bancaires, industriels et tertiaires donna un résultat médiocre de un sur cinq soit l’échec de 24 banques (dont 9 italiennes et 3 grecques!) ou, dit autrement un trou de 25 Mds € !, résonnant dans la presse française comme une victoire de nos établissements de crédit sans comprendre ni l’interaction entre toutes ces banques ni la place des produits à risques dans le bilan et (et le hors-bilan!) !

Cet audit est en fait le suivant d’une série de tests courant 2009 et 2011 entrepris dans le cadre du Système Européen de Supervision Financière par l’Autorité Bancaire Européenne, structure incestueuse basée à Londres ( !) et s’étant révélés particulièrement désastreux dans leur incapacité à prédire la faillite des banques irlandaises ! Octobre 2014 marque cependant une plus grande implication de la BCE puisqu’elle en fut la coordinatrice, la conception en ressortant toujours à l’ABE. 

Plusieurs hypothèses furent définies pour la France:

- une baisse immobilière (-20% en trois ans ce qui est crédible),
- une hausse du chômage (+ 12,2% en 2016 ce qui reste optimiste !),
- une déflation de -0,3% en 2016 (sic!),
- une chute boursière de -20% d’ici à 2016 (rappelons que nous étions à - 43% rien que sur l’année 2008 !),
- un taux de (dé)croissance de -1,1% en 2015 (alors qu’en 2009 la récession fut de -2,5% !),
- une hausse des taux d’intérêt à 3,8% en 2016 (ce qui ne veut strictement rien dire tant la situation actuelle est faussée sur ce plan- voir la seconde partie pour explication).

Autrement dit ces cadres ne sont que des situations édulcorées contredits sévèrement par l’étude à la même période du ZEW (Zentrum für Euröpaische Wirtschaftsforschung), institut allemand d’observation de l’économie européenne, montrant qu’il n’y avait quasiment aucune banque de la zone euro ayant suffisamment de fonds propres dans son bilan ! Les banques françaises auraient par exemple un besoin de 98,3 Mds€ si il advenait un recul de valeur de 10% de leurs actifs pour simplement respecter une liquidité de 4% de l’actif net à court terme ! Comme le disait Olivier Berruyer sur son site Les Crises.fr, ce qu’il faut tester est en fait l’impact d’une faillite d’une méga-banque telle que Bank Of America ou JP Morgan!

La BNP a 37% d’actifs financiers risqués soit 672 Mds € sur un actif total de 1800 Mds€ pour seulement 72 Mds € de fonds propres (capital social, réserves, résultat) soit un levier de 25 fois ceux-ci ! ! Alors que son « hors-bilan » s’estime à 41 400 Mds€, que Bâle 3 prévoit pour 2018 un ratio de levier limité à 33 fois (bilan et hors bilan) son noyau de base (Tier one soit capitaux + réserves + report à nouveau), nous nous trouvons en face d’une situation standard proche de la farce, situation qui reste commune à toutes les banques dites systémiques. Si il n’y a en effet que 72 Mds€ de fonds propres pour 1800 Mds€ d’actifs, il y a donc 1728 Mds€ d’endettements et aucun bénéfice tangible ! Si la BNP perd 4% d’actifs soit 72 Mds€, elle est en faillite !  Ce constat est d’autant plus surréaliste que tous les actifs bancaires ont désormais depuis Bâle 3 une pondération différenciée: chaque banque a désormais la  possibilité de pondérer ses actifs en fonction de risques qu’elle-même appréciera!! Autrement dit, si Bâle3  oblige à plus de fonds propres (10,5% du total de l’actif), il suffira simplement de redéfinir une partie de ses avoirs en nivelant le degré de risques !

Beaucoup de commentaires vont cependant trop dans le sens d’une transposition de la rigueur comptable aux établissements de crédits en oubliant de mettre en évidence le statut sui-generis de ceux-ci. Une banque n’est ni une entreprise ni une institution para-publique mais une entité dont l’objectif et le devenir sont la pérennité de la finance internationale: il importe peu de savoir le faible niveau de fonds propres quand d’une part l’ensemble de ses fonds sont le drainage de l’épargne privée (entreprises et ménages) et institutionnelle (autres banques) et quand d’autre part le risque est amorti par des banques centrales et des Etats prêts à tout moment, direct et indirectement (MES/FESF) à intervenir (« Bail-Out »). Peu importe la structure du bilan et les règles de bonne gestion quand on est hors-cadre ou plutôt hors-bilan ! Contrairement à ce que disent les relais médiatiques, Lehman Brothers fut en faillite par choix politiques en accord parfait entre ses concurrents et la FED !!

Il est aussi vrai, certes, que le bilan de la BCE a atteint 32% du PIB de la Zone soit plus de 3000 Mds€ en juillet 2012 mais il est aussi vrai que ce bilan s’est recontracté en 2014 à 2000 Mds€ soit une perte de 1000 Mds€ en deux ans autrement dit une purge par l’effet du Système lui-même.

Sur la perte de 1000 Mds€, 300 Mds€ furent une dévalorisation d’actifs (portefeuilles, devises), le reste étant bien l’illustration de la trappe à liquidité: plus les taux de refinancement sont bas, plus la spéculation est forte ! Les agents économiques s’attendant à une remontée des taux demandent invariablement de la monnaie et non des actifs telles des actions ou des obligations, ces dernières étant amenées à baisser. Une perte de 700 Mds€ signifie donc bien l’échec des politiques monétaires de la BCE à savoir un recul de l’investissement de 700 Mds€ en deux ans !... mais tout ceci est un détail comme nous le verrons dans la seconde partie.          

Ce qu’il faut retenir est la concordance de la politique de la BCE avec celles de la FED et du FMI : l’absence de relance économique permet de maintenir une balance commerciale allemande forte et un Euro surévalué pénalisant les ¾ de l’Euro-zone. En désinformant les peuples par l’idée brillante qu’un tel système les protègera de nouvelles crises, les acteurs financiers et leurs relais politiques favorisent l’extension d’une aire de jeu dans laquelle l’économie réelle se fait étranglée au profit des 10% les plus riches ….ce qui nous amène aux deuxième et troisième piliers de la BCE: le SRM ou « Single Resolution Mechanism » et le SRF ou « Single Resolution Fund ».

Créé par un règlement du 19/08/2014, le SRM aura à définir le plan de sauvetage d’une banque en difficulté, sauvetage exécuté par le SRF, structure adhoc mis en place à cet effet (sous réserve de ratification par accord intergouvernemental).

En droit le SRM sera mis en application le 1er Janvier 2016 une fois le SRF définitivement établi et s’appliquera aux Etats membres participant déjà au SSM sous supervision de la BCE. Le SRM pourra donc envisager une large palette « d’instruments de sauvetage » dont le désormais connu « Bail-Out » signifiant in concreto le renflouement par une aide allant jusqu’à 1% des dépôts des établissements bancaires de l’Eurozone (approx 55 Mds€), intermédiation censée alléger le poids de la dette des Etat émettant des obligations pour sauver ces mêmes banques mais qui s’avèrera vain vu le montant ridicule des fonds alloués au SRF !

Au final cette augmentation de la puissance de la BCE rentre en conjonction avec l’affaiblissement des souverainetés nationales et l’accélération des tensions entre les USA et la Russie. Le SSM reste un moyen de plus du contrôle de la zone Euro à l’encontre de la sphère russe ou plutôt de la nouvelle alliance russo-chinoise, l’idée étant qu’il n’y ait non seulement plus aucun Etat membre mais aussi plus aucune banque européenne qui ne puisse s’intégrer dans cette nouvelle zone de trading des BRICS, zone établissant un nouveau paradigme conjuguant une finance contenue, une réappréciation de l’économie réelle comme source de développement et surtout le poids de l’Etat national et des souverainetés dans la maitrise des flux de capitaux et de travailleurs.

Récemment, en mars 2014, Xi Jinping, président de la République Populaire de Chine a visité l’Allemagne et a offert à Angela Merkel la participation de son pays à cette Nouvelle Route de la Soie (« the New Silk Road »), une nouvelle zone commerciale allant du Rhin à Shanghai en passant par la Russie, les Etats de la CEI d’Asie Centrale et les parties nord-ouest et centrales de la Chine soit un potentiel incroyable pour l’Allemagne et a fortiori pour l’UE: si l’Allemagne accepte, le reste des Etats membres pourra suivre une voie différente, certainement plus sereine et profitable que celle faite de menaces et de sanctions pavée par la Maison Blanche.

De toute cette situation, Washington en est pleinement averti : ils feront donc tout pour déstabiliser l’UE et justifier une intervention américaine via l’OTAN, une surveillance accrue par la CIA et la NSA et des budgets décuplés pour le complexe militaro industriel. SSM, SRM et SRF sont seulement des moyens de déstabilisation asservissant les Etats membres à la politique extérieure des USA et la seule façon d’échapper à la subordination au dollar est de revenir soit aux monnaies nationales soit à une monnaie commune (je renvoie aux travaux de Jacques Sapir et Frédéric Lordon sur ces points).

(A suivre)