Le jeu allemand, le djihad et la crise des réfugiés (partie 3)
Un des points les plus importants à souligner dans la compréhension de cette immigration massive en provenance du Moyen-Orient sont les liens culturels et géopolitiques profonds qu'entretient l'Allemagne avec la Turquie et la péninsule arabique, liens couvrant une large période de la fin du 19 ème siècle à l'après-guerre jusqu'à notre époque. Il est en dehors de mon propos cependant de parcourir dans le cadre d'un article l'histoire de la politique étrangère allemande en Orient mais de simplement pointer le point d'ancrage de cette politique et l'orientation qui la mènera à prendre la position qu'elle occupe aujourd'hui.
Un des points les plus importants à souligner dans la compréhension de cette immigration massive en provenance du Moyen-Orient sont les liens culturels et géopolitiques profonds qu'entretient l'Allemagne avec la Turquie et la péninsule arabique, liens couvrant une large période de la fin du 19 ème siècle à l'après-guerre jusqu'à notre époque. Il est en dehors de mon propos cependant de parcourir dans le cadre d'un article l'histoire de la politique étrangère allemande en Orient mais de simplement pointer le point d'ancrage de cette politique et l'orientation qui la mènera à prendre la position qu'elle occupe aujourd'hui.
Comme l'a montré Joseph Farrell que je me permets de reprendre en le traduisant, c'est en 1898 que le Kaiser Wilhelm II accompagné de son conseiller le baron Max Von Oppenheim entreprit son voyage au Moyen-Orient. Il y rencontra à Constantinople le Sultan de l'Empire Ottoman, se recueillit à Jérusalem devant la tombe du chef militaire musulman Saladin et fit son célèbre discours de Damas dont le contenu est malheureusement aujourd'hui oublié.
Le but du Kaiser était de créer l'atmosphère politique nécessaire à la construction de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad, cette ligne ayant pour double objectif d'ouvrir de nouveaux marchés aux produits allemands et de permettre une projection militaire rapide dans une région sous domination britannique pour y exploiter in fine ses abondantes ressources énergétiques.
Wilhelm avait par ailleurs l'intention d'étendre la ligne à l'Iran et l'Inde, idée motivée par le lent déclin de l'Empire Ottoman dans la péninsule arabique. Dans ce fameux discours de Damas en 1898 le Kaiser se présenta comme le "protecteur de 300 millions de Mahométans." Se faisant, il ne faisait que suivre les conceptions du baron Von Oppenheim, l'orientaliste de renom qui voyait l'Islam comme une force inexploitée et oeuvrait à la création d'un mouvement pro-islamiste.
C'est aussi Von Oppenheim qui développa le concept de "Djihad" défini "comme rien moins que la militarisation de la religion au service des ambitions territoriales de l'Allemagne, une arme à manier avec sang-froid par ceux n'entretenant aucune affinité religieuse particulière".
La position de Von Oppenheim et sa vision du Djihad furent si influentes sur l'élaboration de la Mittelostpolitik" du Kaiser que le chercheur allemand Matthias Küntzel utilisa l'expression "made in Germany" pour désigner le phénomène contemporain de l'islamisme. Les effets d'une telle position ne se firent pas attendre.
A la fin octobre 1914, le Kaiser cabla au ministre de la guerre turc Enver Pasha que "sa Majesté le Sultan devait unifier les musulmans d'Asie, d'Inde, d'Egypte et d'Afrique dans une guerre sainte pour l'émergence d'un califat". Ce fut la première fois dans l'Histoire récente du 20ème siècle que l'idée d'un califat islamiste était émise par un dirigeant politique, proposition rendue également possible par les amitiés qu'entretenait Oppenheim tant avec le Sultan qu'avec le Grand Mufti de Jerusalem Al Husseini. Une fatwa fut édictée le 14 novembre 1914 à Constantinople encourageant le djihad et vouant à "l'enfer" tout musulman se battant contre les alliés allemands et austro-hongrois des Ottomans.
Pour Matthias Küntzel, même s'il s'agit d'une perversion du concept de djihad, elle reste la première fatwa enjoignant de lutter contre une catégorie spécifique d'incroyants. Par la suite durant la première guerre, Von Oppenheim créa une cellule de renseignement nommée "Unité de Renseignements d'Orient" (URO) spécialement dédiée à la direction des activités djihadistes. Elle se composait d'un personnel très qualifié dans leur domaine respectif allant d'orientalistes allemands à "des musulmans de Perse, de Turquie, du Caucase, de Géorgie, d'Inde et d'Afrique du Nord et adjointe de onze traducteurs et d'une équipe technique à l'effectif identique.
L'URO avait pour principal mission d'être un agent agitateur des populations musulmanes au sein des colonies britanniques et françaises d'Afrique du Nord et d'Indes. En décembre 1915, les publications de l'URO comptait 5000 magazines, pamphlets et journaux avec une édition pour chaque titre de 2500 à 26 000 exemplaires soit un total de 2,5 millions de numéros consacrés au djihadisme.
Dans la perspective de l'URO, la distinction entre califat et djihad reste certes prévalente mais seul ce dernier reste un concept opératoire pouvant être utilisé tant indistinctement contre les "infidèles" que spécifiquement contre un groupe déterminé. Les modes de combats étaient également analysés et n'étaient pas limitées à des théâtres militaires mais pouvant s'étendre à des approches de guérillas et d'assassinats en zones non militaires (villes, espaces peuplés, etc), une vision somme toute très moderne faisant écho aux tactiques d'agitation des Frères Musulmans en Egypte, à la révolution islamiste iranienne, au nationalisme palestinien du Grand Mufti de Jérusalem Al-Husseini, à l'Irak de Saddam Hussein, à la Lybie social-nationaliste de Mouammar Kadhafi jusqu'à l'Afghanistan notamment de 1937 à 1947 avec les moudjahidin Waziri et le Mollah Mirza Ali Khan. Ce n'est d'ailleurs pas sans raison depuis la guerre froide que l'Allemagne abrite à Aix-La-Chapelle la cellule internationale des Frères musulmans.
Ce que je veux dire en reprenant Farrel et cette présence allemande au Moyen-Orient est que la culture d'une élite dirigeante quelque soit la société percole tôt au tard par strates à toutes les classes de la société. Si les élites arabes étaient enclines à l'Allemagne et à son approche de l'Islam, le reste des couches sociales suivit cette inclination et c'est ce que l'on peut voir dans le désir des réfugiés d'aller vers l'Allemagne. D'ailleurs cette dernière reste impliquée dans le conflit syrien. D'après Thierry Meysan du Réseau Voltaire, l'Allemagne permet à la Confrérie des Frères Musulmans d'abriter les djihadistes de l'EI à Aix-La-Chapelle. En janvier 2015, Angela Merkel ne défilait-elle pas "bras dessous, bras dessus" en réactions aux attentats de Charlie Hebdo avec Aiman Mazyek, secrétaire général du Conseil Central des Musulmans protégeant en son sein l'organisation suprématiste turc Milli Gorus et les Frères Musulmans?
Le but du Kaiser était de créer l'atmosphère politique nécessaire à la construction de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad, cette ligne ayant pour double objectif d'ouvrir de nouveaux marchés aux produits allemands et de permettre une projection militaire rapide dans une région sous domination britannique pour y exploiter in fine ses abondantes ressources énergétiques.
Wilhelm avait par ailleurs l'intention d'étendre la ligne à l'Iran et l'Inde, idée motivée par le lent déclin de l'Empire Ottoman dans la péninsule arabique. Dans ce fameux discours de Damas en 1898 le Kaiser se présenta comme le "protecteur de 300 millions de Mahométans." Se faisant, il ne faisait que suivre les conceptions du baron Von Oppenheim, l'orientaliste de renom qui voyait l'Islam comme une force inexploitée et oeuvrait à la création d'un mouvement pro-islamiste.
C'est aussi Von Oppenheim qui développa le concept de "Djihad" défini "comme rien moins que la militarisation de la religion au service des ambitions territoriales de l'Allemagne, une arme à manier avec sang-froid par ceux n'entretenant aucune affinité religieuse particulière".
La position de Von Oppenheim et sa vision du Djihad furent si influentes sur l'élaboration de la Mittelostpolitik" du Kaiser que le chercheur allemand Matthias Küntzel utilisa l'expression "made in Germany" pour désigner le phénomène contemporain de l'islamisme. Les effets d'une telle position ne se firent pas attendre.
A la fin octobre 1914, le Kaiser cabla au ministre de la guerre turc Enver Pasha que "sa Majesté le Sultan devait unifier les musulmans d'Asie, d'Inde, d'Egypte et d'Afrique dans une guerre sainte pour l'émergence d'un califat". Ce fut la première fois dans l'Histoire récente du 20ème siècle que l'idée d'un califat islamiste était émise par un dirigeant politique, proposition rendue également possible par les amitiés qu'entretenait Oppenheim tant avec le Sultan qu'avec le Grand Mufti de Jerusalem Al Husseini. Une fatwa fut édictée le 14 novembre 1914 à Constantinople encourageant le djihad et vouant à "l'enfer" tout musulman se battant contre les alliés allemands et austro-hongrois des Ottomans.
Pour Matthias Küntzel, même s'il s'agit d'une perversion du concept de djihad, elle reste la première fatwa enjoignant de lutter contre une catégorie spécifique d'incroyants. Par la suite durant la première guerre, Von Oppenheim créa une cellule de renseignement nommée "Unité de Renseignements d'Orient" (URO) spécialement dédiée à la direction des activités djihadistes. Elle se composait d'un personnel très qualifié dans leur domaine respectif allant d'orientalistes allemands à "des musulmans de Perse, de Turquie, du Caucase, de Géorgie, d'Inde et d'Afrique du Nord et adjointe de onze traducteurs et d'une équipe technique à l'effectif identique.
L'URO avait pour principal mission d'être un agent agitateur des populations musulmanes au sein des colonies britanniques et françaises d'Afrique du Nord et d'Indes. En décembre 1915, les publications de l'URO comptait 5000 magazines, pamphlets et journaux avec une édition pour chaque titre de 2500 à 26 000 exemplaires soit un total de 2,5 millions de numéros consacrés au djihadisme.
Dans la perspective de l'URO, la distinction entre califat et djihad reste certes prévalente mais seul ce dernier reste un concept opératoire pouvant être utilisé tant indistinctement contre les "infidèles" que spécifiquement contre un groupe déterminé. Les modes de combats étaient également analysés et n'étaient pas limitées à des théâtres militaires mais pouvant s'étendre à des approches de guérillas et d'assassinats en zones non militaires (villes, espaces peuplés, etc), une vision somme toute très moderne faisant écho aux tactiques d'agitation des Frères Musulmans en Egypte, à la révolution islamiste iranienne, au nationalisme palestinien du Grand Mufti de Jérusalem Al-Husseini, à l'Irak de Saddam Hussein, à la Lybie social-nationaliste de Mouammar Kadhafi jusqu'à l'Afghanistan notamment de 1937 à 1947 avec les moudjahidin Waziri et le Mollah Mirza Ali Khan. Ce n'est d'ailleurs pas sans raison depuis la guerre froide que l'Allemagne abrite à Aix-La-Chapelle la cellule internationale des Frères musulmans.
Ce que je veux dire en reprenant Farrel et cette présence allemande au Moyen-Orient est que la culture d'une élite dirigeante quelque soit la société percole tôt au tard par strates à toutes les classes de la société. Si les élites arabes étaient enclines à l'Allemagne et à son approche de l'Islam, le reste des couches sociales suivit cette inclination et c'est ce que l'on peut voir dans le désir des réfugiés d'aller vers l'Allemagne. D'ailleurs cette dernière reste impliquée dans le conflit syrien. D'après Thierry Meysan du Réseau Voltaire, l'Allemagne permet à la Confrérie des Frères Musulmans d'abriter les djihadistes de l'EI à Aix-La-Chapelle. En janvier 2015, Angela Merkel ne défilait-elle pas "bras dessous, bras dessus" en réactions aux attentats de Charlie Hebdo avec Aiman Mazyek, secrétaire général du Conseil Central des Musulmans protégeant en son sein l'organisation suprématiste turc Milli Gorus et les Frères Musulmans?