Moyen-Orient:
redéfinition des frontières, la Russie en ligne de mire
Si
le Système OMC/FMI s’effondre, cet effondrement dépendra de la baisse de l’étalon
monétaire mondial qu’est le Dollar. Cette chute ne peut prendre que deux
formes: d’une part une déflation sur le marché intérieur américain et d’autre
part le déclin de la demande mondiale de la devise US par les effets conjugués
de la poursuite du ralentissement du commerce mondial (voir article prévisions
2015) et de la substitution progressive d’un nouveau système au sein des BRICS
(la fameuse « dé-dollarisation »), substitution renforcée par le
retour aux monnaies nationales en Europe. Il est désormais clair que l’Euro
favorise par son cours élevé le Dollar et empêche, à l’exception de l’Allemagne,
toute croissance du commerce extérieur des Etats-membres de l’Euro-zone.
Sous
cet angle, les attaques contre la Russie comme l’accélération de l’intégration
de l’UE sont des enjeux cruciaux pour les USA, la montée des tensions avec la
Chine représentant une alerte à moyen terme, une fois la Russie et l’UE
définitivement neutralisées.
Dans
cette perspective d’affaiblissement de la puissance russe, une troisième phase s’ouvre,
les deux premières ayant été l’affaire ukrainienne (dont sont issues les
sanctions à l’encontre du système financier russe) et les spéculations sur le
rouble et le cours du baril.
Ce
troisième temps comprend une mise en œuvre en deux axes : le premier est
la coupure des exportations russes de pétrole et de gaz vers l’Europe à travers
- et c’est le second axe - la construction d’un pipe-line traversant une
péninsule arabique redessinée dont la Syrie, l’Iran et la Turquie seront les
grands perdants. Si en effet l’Iran et la Syrie, partenaires déclarés de la
Russie, représentent des cibles aisément identifiées, la Turquie l’est beaucoup
moins mais son affaiblissement est la
condition d’une redéfinition des frontières dont le principal vecteur est l’Etat Islamique (EI).
Je
m’attacherai ici en plusieurs points à la situation au Moyen Orient à partir
notamment de l’article d’Observer et des cartes ci-dessous (voir liens en sources).
1)
L’acheminement du pétrole/gaz d’Arabie Saoudite
-
Les oléoducs seraient le moyen le plus sûr pour le pétrole saoudien d’être
acheminé vers l’Europe via la Syrie, l’Irak et la Turquie au contraire des
supertankers, soumis aux aléas géopolitiques des détroits d’Ormuz et de
Chatt-El-Arab.
-
Tant le gaz naturel saoudien que qatari pourraient également emprunter cette
même voie vers l’Europe. Ce constat est le point d’achoppement des projets
Nabucco et South Stream.
Le
gazoduc Nabucco est un projet américain, décidé en 2002, d’acheminement du gaz
d’Azerbaïdjan (pays largement sous influence diplomatique US mais ayant renoué
ces dernières années des relations fortes avec la Russie et l’Iran) vers l’Europe
via la Géorgie, la Turquie et la Bulgarie. Ce gazoduc devait à terme se doubler
en oléoduc pour le transport pétrolier en provenance d’Irak, d’Egypte et d’Iran.
Il
a été cependant abandonné par décision de l’Azerbaïdjan d’utiliser le gazoduc
TANAP-TAP qui passera par la Turquie, la Grèce, l’Albanie et l’Italie pour d’une
part, des raisons de coûts, et d’autre part de prix plus élevés pratiqués dans
les pays traversés. Sa construction a été décidée en octobre 2014.
Concurremment,
le gazoduc South Stream (projet russe de Gazprom avec des capitaux italiens,
allemands et autrichiens) a été décidé en 2007 et confirmé en 2010 pour acheminer
le gaz de Russie et du Kazakhstan par la Mer Noire (en dehors de la Turquie)
vers l’Europe. Tout comme le Nabucco, il devait aussi se connecter à terme aux
pétroles irakien, iranien et égyptien et tout comme ce dernier fut abandonné
par décision de la Russie sur l’insistance de la Bulgarie, elle-même sur ordre
de l’Union Européenne et des USA.
2)
L’affaiblissement de la Turquie et la création du Kurdistan.
L’EI
revendique un territoire aux contours indéfinis partant des foyers
insurrectionnels syriens aux zones conquises dans l’espace kurde irakien, rassemblant
politiquement l’aile dure du wahhabisme sunnite et économiquement axé sur l’exploitation
du pétrole.
Si
l’EI (plus exactement l’Etat Islamique en Irak et au Levant regroupant Al-Qaïda
en Irak et le Front Al-Nosra, ex Al-Qaïda en Syrie) cherche visiblement à
unifier les sunnites du Moyen-Orient dans un Califat en cours de création, le
soutien de l’Arabie-Saoudite leur sera nécessaire pour le contrôle de Médine et
de la Mecque ce qui soulève une fois de plus l’implication possible de l’Arabie
dans la guerre en cours mais révèle aussi sur le plan géo-économique une
certaine clarté sur la route des oléoducs à suivre jusqu’à l’Europe via Bakou
(le TANAP-TAP pouvant y être relié par la même occasion !), Soupsa
(Géorgie) et les ports de Constanta (Roumanie) et Burgas (Bulgarie) sur la Mer
Noire.
Une
telle vision n’a cependant que peu de chances de se réaliser tant la résistance
des peshmergas kurdes est forte, motivée par l’opportunité d’unifier
définitivement leur peuple dans un Etat redéfini sur les frontières irakiennes,
iraniennes, syriennes et turques !
La
stratégie américaine pourrait dans cette perspective tant soutenir la
résistance kurde que l’EI et aider à finaliser le Kurdistan au dépens des Etats
limitrophes affaiblissant simultanément les intérêts russes en Syrie et en
Iran.
Nous
avons vu depuis quelques mois maintenant une réticence de la Turquie à
intervenir contre l’EI, autrement dit à prêter indirectement main-forte aux
peshmergas. Cette réticence s’est non seulement convertie en soutien non-dit à
l’EI mais à un rapprochement politique et économique avec son ennemi immémorial
qu’est la Russie alors même que la Turquie abrite l’une des plus grande base de
l’OTAN dans cette partie du monde !
3)
Le nouvel Etat de l’EI
Le
Kurdistan nouvellement créé impliquerait évidemment, en retour, la création
définitive de l’EI afin de pacifier, s’il en était possible, le nouveau tracé
du pétrole saoudien obligeant comme nous l’avons dit l’Arabie à concéder La
Mecque et Médine au Califat et mutualiser entre les deux Etats des intérêts
bien compris: la concession des lieux saints à l’EI contre la sécurisation de
la nouvelle voie pétrolière notamment via le Kurdistan. Ce dernier cependant y
trouvera son compte par la perception de taxes sur le passage du pipeline et
par des liens renforcés avec le Pentagone/OTAN et l’OPEP.
4)
Partition définitive de l’Irak
La
conséquence directe à l’établissement de ces deux Etats pourrait en être la
création de deux autres ! Les sunnites irakiens revendiqueront avec
l’appui de l’EI et par opposition aux kurdes une sécession de l’Irak actuel et
par contrecoup, les chiites créeront le leur, soutenu par l’Iran dans ce
processus.
Erdogan
sera à n’en pas douter le grand perdant de cette redistribution des cartes et
il est aussi probable qu’un « regime change », « une révolution
colorée » de type Maidan ait lieu en Turquie comme nous en avons vu
quelques tentatives courant octobre/novembre 2014.
Si Erdogan disparaît, le projet Nabucco pourrait
en effet être remis à l’ordre du jour, le passage à travers les plaines turques
serait de nouveau sécurisé et relié aux oléoducs BTC et TANAP-TAP.
5)
Guérillas EI dans le Caucase Nord et réactivation du conflit dans le
Haut-Karabagh
L’affaiblissement
de la Russie pourrait se poursuivre jusqu’au changement de régime et la
démission/renversement de Poutine ce qui suppose outre la coupure des
exportations russes vers l’UE et la disparition de ses alliés au Moyen-Orient,
la poursuite de foyers insurrectionnels sur le sol même de la Russie.
Des
mercenaires de l’EI sont déjà à l’œuvre dans les régions du Caucase Nord et
particulièrement dans le Daguestan. La reprise en main de la Tchétchénie par
Kadirov, soutien fidèle de Poutine n’a fait que déplacer les activistes
wahhabites dans le pourtour de cette république aux abords de la Mer Caspienne.
De même le conflit du Haut-Karabagh, enclave arménienne au sein de l’Azerbaïdjan
peut être facilement réactivé par des activistes islamiques (principalement
Azéris) revendiquant un Azerbaïdjan unifié ce qui serait un casus-belli pour l’Arménie
et la Russie.
6)
Foyers talibans en Asie Centrale et dans la région de la Volga
Nous
le voyons, la partition de l’Irak aura inévitablement des conséquences sur la
sphère afghane. Un Iran amoindri dans ses frontières réactivera le mouvement
sunnite Joundallah iranien et ses connections avec son homologue baloutche en
territoire pakistanais, les deux mouvements étant supposés avoir des liens
étroits avec Al-Qaïda.
Cette montée en puissance d’un sunnisme extrémiste dans
cette région ne peut qu’encourager les mercenaires talibans à étendre leur
influence vers l’Asie Centrale non seulement dans les Etats alliés de la Russie
(Turkménistan, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizistan) mais au sein même de la
Russie aux abords de la Volga (le Tatarstan musulman notamment), exacerbant in
fine l’émulation des mouvements islamistes locaux.
Pour
conclure, tout ceci reste un scénario possible et réalisable à court et moyen
terme. L’important est d’en comprendre seulement la dynamique: la réussite
pleine et entière de cette stratégie est secondaire, seuls importent son degré
de nuisance et sa capacité à détériorer les intérêts russes dans ces régions tout en
maintenant le « State Building », l’emprise du dollar dans les
négociations de marchés publiques renouvelés, les fournitures d’armements et de
mercenaires et ultima verbum, le contrôle indirect des cartels dans le
« Croissant d’Or ».
Sources :
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