L’hubris
du monde occidental
Les
marchés actions US sont assurément un révélateur pertinent de la crise
systémique en cours, tant pour le système socio-économique américain que pour
le reste du monde à travers l’exportation de sa masse monétaire.
Toute
la relation en déséquilibre constant entre une ultra-puissance et des
satellites occidentaux (UE et hors-UE) repose sur la conjonction de trois
éléments structurants: le développement technologique, la cohérence de la
politique menée par le binôme « Federal Reserve » – « Department
of Treasury » et le contrôle de la liquidité
dollarisée mondiale.La question dans cette architecture de la cristallisation
de la position BRICS et plus particulièrement de la synergie sino-russe en
formation sera bien entendu évoquée de nouveau mais brièvement, le thème de
l’article étant de dépasser les contours d’un monde bipolaire afin de mettre en
évidence les forces en cours de destruction des mécanismes hérités de la
révolution thermodynamique industrielle et de la reconstruction européenne de
l’Après-Guerre.
Partant
du constat que la croissance du Dow Jones (grandes entreprises) de 68% entre
novembre 2010 et le 1er avril 2015 correspond au premier QE et à la politique
de la FED de rachats à des taux quasi nuls des créances du système bancaire,
nous pouvons induire une relation de causes à effets entre cette surliquidité
et l’investissement en actifs mobiliers et immobiliers.
En
aidant les banques américaines à apurer leurs bilans par la substitution d’actifs
tangibles à des valeurs toxiques dites "hors bilan", la FED a participé à
la flambée des marchés actions mais
aussi obligataires (obligations d’avant 2008) et immobiliers (« prime »
commercial): les marges des investisseurs renouvelées ont en effet permis la
création de bulles spéculatives dans tous les domaines.
Le
refinancement par des taux quasi-nuls a eu le double résultat d’alléger le
passif et d’améliorer le bénéfice des institutionnels. Inversement, comme nous
l’avons déjà expliqué dans de précédents articles, l’octroi de prêts aux
ménages devient peu attractif et oblige à l’instar de l’Euro-zone à prendre des
garanties auprès de l’emprunteur sous
forme d’apports ou d’hypothèques. Dans le même temps, la collecte d’épargne tend
à se ralentir ce qui ne peut qu’exacerber d’une part les difficultés de gestion
de liquidités provenant de l’économie réelle et d’autre part la dépendance du
système à la banque centrale.
Nous
pouvons formuler ce qui vient d’être dit d’une autre façon: les banques
centrales ont faussé le marché en abaissant artificiellement les taux
d’intérêts. Dans un système dit normal, que ce soit une banque ou une
entreprise cotée, un besoin de financement détermine l’émission d’obligations à
des taux attractifs et valorisés. Si une banque décide d’augmenter ses marges
sur ses prêts aux entreprises et aux ménages, elle augmentera ses taux
d’intérêts ce qui aura pour double conséquence de réduire les poussées
inflationnistes et d’améliorer le rendement des placements proposés à ces mêmes
ménages et entreprises. Nous serons passés dans cette perspective d’une phase
de consommation à une phase d’épargne, d’une phase d’investisseurs à une phase
de rentiers: les liquidités ne proviennent alors plus des banques centrales
mais de la richesse produite par des échanges de produits et services contre
une monnaie les reflétant.
Nous
changeons de paradigme si la finance ne dérive plus de l’épargne générée par
les plus-values de l’économie réelle mais dépend d’un refinancement par la
banque centrale. Si, au lieu de relever leurs taux d’intérêts pour capter
l’épargne, les agents obtiennent des liquidités par la mise en garantie de tout
type de créances, bonnes ou mauvaises, à long terme ou à court terme, dérivés
ou non, le bénéfice généré se retrouvera totalement décorrélé de la tangibilité
d’une production marchande.
Par
l’introduction de milliards de liquidités dans un système qui aurait dû
s’apurer par lui-même, la FED s’est ainsi mêlée de politique et a nié de ce
fait la raison d’être des taux: la
mesure du risque. Mais au-delà du calcul politique de Washington, la
question demeure d’en connaître les objectifs, de déterminer en quoi ces
refinancements massifs s’inscrivent dans une stratégie plus large de
redéfinition de la domination américaine sur le monde.
Dès
2008, la FED (aujourd’hui suivie par la BCE, la Banque d’Angleterre et la Banque
du Japon - et contrairement aux banques des BRICS) a entériné la rupture entre
le monde réelle et la sphère financière, cette dernière relevant d’une toute
autre architecture. Tous les prêts se font interbancaires ou par filiales/fonds
interposés, chaque établissement assuré de voir ses risques annulés par une
banques centrale qui les couvrent.
Les
stratégies ne reposent plus sur les intérêts (coupons) élevés mais sur des dividendes,
des plus-values sur titres et des loyers dont les seuils de retour ont explosé.
Toute la finance se rue dorénavant sur les entreprises cotées dans une
recherche effrénée de rendements faute de pouvoir s’orienter sur les produits
de taux (les obligations): les indices boursiers attestent de cette
réorientation des flux et ne font que peser sur les résultats commerciaux quant
à eux bien réels.
Dans
une économie financière totalement dérégulée, l’anticipation de bénéfices
induit une appréciation (ou non) des portefeuilles des sociétés de gestion.
Tout le « business plan » des
grandes entreprises mais aussi des PME cotées dérive d’une valorisation de
leurs actions, à défaut elles risquent de perdre leur financement. Si les
entreprises se doivent de développer leurs marges sur le moyen et long terme
(ce qui relève d’une vision saine de développement du produit et de la marque),
l’anticipation à court-terme tend à devenir l’horizon indépassable pour la
plupart. Perspective éminemment problématique, la recherche de profits au-delà
de tout productivité induit une réduction des coûts fixes (salaires, main
d’œuvre, externalisation de services) et variables (stocks). Par l’influence
directe des banques centrales et des dirigeants politiques qui les gouvernent,
la valeur d’une entreprise ne repose plus que sur le « zéro stock »
et l’ajustement constant de la masse salariale basée sur une main d’œuvre ponctuelle,
le plus souvent en contrat à durée déterminée ou en intérim voire travaillant
dans des zones hors frontières à bas coûts sociaux.
Les
USA vivent une situation de marchés déflationnistes se réduisant, s’anémiant
avec un taux mensuel négatif de - 0,09% en janvier 2015, -0,03% en février 2015
et -0,07% en mars 2015 soit -0,1% sur 12 mois (mars 2014-mars 2015) !
Au-delà
du tarissement des crédits aux ménages par des moyens indirects (garanties
supplémentaires, hypothèques réduites dues à la dépréciation des biens
immobiliers après 2008), la précarisation reste un phénomène non assumée travestie
par un taux de chômage trompeur de 5,5% en février 2015 et d’une baisse flatteuse
de près de 44% depuis mars 2010.
Prenons
les statistiques du BLS (Bureau of Labour Statistics): sur une population
active de plus de 148M de personnes, 7 400 000 personnes sont officiellement en
demande d’emplois. Si cependant nous comptabilisons les personnes travaillant
une partie de l’année (entre 5 semaines à 27 semaines par an), celles
travaillant par contrainte économique hebdomadairement à temps partiel, celles
non comptabilisées dans la population active et enfin les demandeurs découragés
ayant renoncé à toute recherche, nous en sommes à 119 072 000
individus, chiffre à mon avis minoré et auquel nous pouvons ajouter les
personnes travaillant à temps partiel moins de 35 heures par semaine (le temps
plein aux USA est de 40 heures), nous obtenons le résultat hallucinant de 146 618 000
de personnes soit 98,87% de la population active !!!!
Précarisation
et ultra-financiarisation de l’économie réelle ne sont cependant qu’un aspect
de ce paradigme, l’injection massive par le Trésor de liquidités dans le
système militaro-industriel en est un autre.
Le
Trésor émettant des bons (T-bond, T-Bill, T-Note) à des taux quasi-nuls a
permis au marché de croitre son PIB de 20,57% entre le premier trimestre 2010
et le quatrième trimestre 2014 contenant ainsi le déficit de la balance
commerciale. Tant les exportations de services financiers (Wall Street) que les
exportations de biens et services ont cru respectivement de 28% de novembre
2011 à février 2015 et de 20% entre décembre 2010 et octobre 2014, les seuls
secteurs en fléchissement étant les exportations de gaz naturels avec une
baisse de plus de 9% en volume entre février 2014 et décembre 2014 (industrie
du schiste notamment).
Investissements
massifs, croissance du PIB et exportations ne sont en aucun cas contradictoire
avec la déflation; le marché intérieur n’est en effet plus appréhendé comme une
source de profit pour les entreprises définissant leurs stratégies à une
échelle globalisée.
On
ne cherche plus à se développer sur une zone particulière définie par une
géographie ou des frontières mais à ouvrir pour chaque produit une perspective
mondiale. Les stratégies Apple ou Google sont devenues des références et la
baisse de la consommation par la précarisation peut aisément se compenser par
un accroissement de la production sur d’autres zones ce qui suppose aussi une
grande fluidité entre les dites zones (et nous voyons ici l’importance des
accords TAFTA et TransPacific Partnership ou TPP) dans la suppression de toutes
barrières douanières directes et indirectes (secteurs publics protégés),
l’objectif à peine voilé étant la création d’immenses poches de consommation captives
pour les produits américains.
Quant
au Department of Treasury, il est important de comprendre que la politique de
la FED n’a pu se décider qu’à un échelon politique. Les Quantitative Easing’s
de la FED relève d’une demande massive de fonds du complexe militaro-industriel
à travers le Pentagone et ses cocontractants, cette injection irriguant toute une
filière de sous-traitance et d’incubateurs en étroite relation avec les
états-majors des multinationales du S&P 500 à travers le monde.
La
FED et le Trésor sont passés à une échelle supérieure depuis 2008. Nous avons
parlé des accords transnationaux avec l’UE et la zone pacifique, c’est aussi
toute une gestion de la crise qui s’est développée à des degrés d’intensités
encore inédits. Les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, les tensions avec
la Russie sans parler de l’hubris au cœur même de zones développées comme l’UE
ou l’Amérique Latine ne répondent en réalité qu’à la gestion d’objectifs
commerciaux et de conquêtes économiques.
Si
nous regardons les crises en cours, elles sont de deux types:
-Guerres déclarées ou larvées: Ukraine,
Moyen-Orient (Etat Islamique, Talibans), Afrique Subsaharienne et Maghrebine
(Lybie);
-Tensions sociaux-économiques engendrés
par l’introduction du modèle (politique, culturel, social et économique)
américain dans des ensembles humains aux évolutions propres: Union
Européenne, Russie, Chine, Amérique Latine, Inde, Maghreb (Tunisie, Egypte)
- et
correspondent en définitive à la mise en application du programme GRIN: Genetics
(biotechnologie et sciences médicales), Robotics (divertissement,
biotechnologie/médical, spatial), Information processing (divertissement,
biotechnologie) and Nano-technology (biotechnologie/médical, alimentation,
spatial, matières premières).
La
globalisation des marchés US ne peut se faire que de deux façons: soit
diplomatiquement par la négociation de zones captives gigantesques (UE, TAFTA
et TPP) soit par des changements de régimes: Russie (5ème colonne
atlantiste au sein du Kremlin, mouvements fascistes/néonazis, islamisme EI et
Talibans), Chine (5ème colonne atlantiste dans les instances du
pouvoir centrale, islamisme Ouïghour), Révolutions arabes dans tout le Maghreb
(Lybie, Tunisie, Egypte), désorganisation et réorganisation des pouvoirs en
Afrique subsaharienne (en clair affaiblir l’influence de la France sur tout
l’Ouest et le Centre-Ouest), crises économiques et monétaires en Amérique
Latine avec la présence de 5ème colonnes puissantes pro-américaines
au Brésil, en Argentine et au Venezuela, Inde (tout le problème des conflits
interreligieux notamment dans le Jammu-et-Cachemire).
Si
nous nous résumons, nous avons les points suivants:
- Paradigme dès 2008 d’une économie
financière mise en place par la FED (et suivie par les autres banques centrales
des économies dites développées);
- Réorientation des places boursières sur
les marchés actions;
-Financiarisation des stratégies
commerciales des entreprises cotées et pondération des objectifs commerciaux à
court terme;
-Variable d’ajustement des coûts
salariaux : précarisation, externalisation des services, non-revalorisation
des salaires;
-Conséquences : désinflation/déflation
et globalisation des marchés US;
-Investissements massifs via bons du
Trésor dans le programme de type GRIN et gestion des crises internationales
dans le but d’une homogénéisation des zones répondant aux allocations GRIN.
Ce
qu’il ressort de ces différents points est de savoir comment un tel système
peut tenir, comment peut-il être pérenne sachant que ses mécanismes
apparaissent clairement artificiels. J’utilise à dessein le mot d’artifice afin
de montrer que les mécanismes d’offres et demandes restent contrariés, le but
n’étant plus le développement de la consommation mais l’augmentation en soi des
marges bénéficiaires. Comment dès lors envisager un marché en le détachant de ses principaux agents ou plutôt
comment envisager des marges croissantes
tout en diminuant la consommation?
Si
les principaux indicateurs PIB, exportations, importations ont tous crû, c’est
essentiellement le résultat de la compression du marché de l’emploi et cette
tendance reste globale au sein de l’OCDE, le ralentissement du commerce mondial
en est un indice.
Soit
le Système poursuit dans cette voie et devra s’abstraire d’un marché de
l’emploi en s’axant sur l’économie financière ce qui ne peut déboucher que sur
des effets sociaux désastreux ou précipiter le monde dans un chaos organisé de
manière à réorienter les marchés sur de nouvelles sources de profits par
l’élimination physique des concurrents non américains.
Il
est très difficile de faire des anticipations mais ce qui est sûr est que la
tendance à la contraction de l’emploi est globale et les seules bénéficiaires en
sont les détenteurs du capital et le complexe militaro-industriel US: la prise
de conscience de cette puissance se reflète dans l’asservissement des
politiques européennes dont la France et la Grande-Bretagne sont de tristes
exemples. Inversement des Etats comme la Russie ou la Chine tentent de proposer
un modèle différent, moins financiarisé et globalisé mais en l’état rien ne
peut empêcher cette entropie d’aller à son terme.
Sources: