L’étau se resserre (première
partie)
Le 4 novembre 2014, dans une
discrétion remarquable des médias français, la Banque Centrale Européenne s’est
dotée de trois nouveaux instruments particulièrement coercitifs dans le
prolongement de l’article 126 du Traité de Lisbonne posant l’impossibilité des
aides directes d’un Etat-membre envers son homologue en difficulté et la
création a fortiori de structures adhoc (tel le Mécanisme Européen de
Stabilité) gérées comme il se doit par cette même BCE.
Le premier par l’importance de
son cadre est le SSM ou « Single Supervisory Mechanism » (Mécanisme
Unique de Supervision): Il tendra (et je cite Wikipedia) à surveiller les
principales banques de l’Eurozone, à en contrôler la stabilité financière,
contrôle s’étendant aux établissements hors zone si ces derniers le souhaitent
(à ce jour aucun n’en a manifesté le moindre intérêt, particulièrement au
Royaume-Uni !).
Les banques ciblées sont les
méga « Too Big To Fail » banques se définissant pour l’UE par l’un
des cinq critères suivants :
- - Actifs excédant les 30 Mds €;
- - Actifs dépassant les 5 Mds € et 20% du PIB de
l’Etat de leur siège social;
- - Une des 3 plus grandes banques de l’Etat
concerné ;
- - Activité importante à l’international ;
- - Fonds reçus du Mécanisme de Stabilité ou du
Fonds Européen de Stabilité Financière
soit à peu près 150 banques
pour un total de 80% des actifs bancaires de l’Eurozone ….ce qui n’empêchera
cependant pas la BCE d’auditer des banques plus petites (6000 banques!) mais
indirectement via ce qui est appelé un « superviseur national »
autrement dit une autorité sous tutelle préexistante ou non dans l’Etat
considéré.
La marche du SSM sera fonction
des décisions d’un Conseil de Direction (« Governing Council »)
composé des banques centrales de l’Euro-zone et du Conseil Exécutif de la BCE,
lui-même présidé par ce cher Mario Draghi (et déjà en charge de la politique
monétaire de l’UE !), chaque décision étant elle-même préparée par un
« Conseil dit de Supervision » (« Supervisory Board ») composé
des « superviseurs nationaux », d’un président, d’un vice-président
et, bien entendu, de quatre représentants de la BCE.
Une des fonctions affichées du
SSM (mais le champ de compétences n’est visiblement pas exhaustif..) sera
d’effectuer des stress tests. Si ceux-ci se révèlent négatifs, le SSM pourra
envisager des mesures visant par exemple à corriger la capitalisation d’une
banque, à en limiter les opérations à risques voire à intervenir sur la
composition du management. Si le problème est systémique induisant une possible
liquidation, le deuxième instrument (SRM) sera alors mis en place (voir plus
loin).
Prima facie, et avant d’aller
plus avant dans cette présentation, une question se pose: comment, quant à la BCE, peut-on être à la
fois contrôleur et une des principales parties prenantes du jeu financier via
les deux LTROs lancés en décembre 2011 et février 2012 (programmes de rachats
de créances à long terme détenus par les banques –soit des dettes !- pour
1000 Mds€) et la pratique copiée sur celle de la FED de taux de refinancement
extrêmement bas favorisant la démultiplication de produits dérivés émis par la
plupart des méga-banques, elles-mêmes créancières d’Etats-membres surendettés
et soumis à des politiques d’austérité différenciées imposées par la Commission
Européenne, la BCE (à nouveau !) et le FMI?
La BCE a cependant voulu aller
plus loin dans ce refinancement débridé par sa tentative fin 2012 de rachat aux
banques de dettes obligataires souveraines (un galop d’essai de 210 Mds € dit « Securities
Market Program» ayant déjà été mené sous la gouvernance Trichet courant
2010-2011), tentative finalement bloquée par la cour constitutionnel allemande
(Tribunal Constitutionnel d’Allemagne à Karlsruhe) le 11 Janvier 2014. Jugeant
ces opérations contraires au principe de non-renflouement de déficits
publics par un ou des Etat-membres et au mandat de la BCE de lutte contre
l’inflation, la réponse de la BCE à cette opposition de la Cour fut donc de
créer le SSM et de poursuivre in fine sa politique de refinancement
accommodante par ses relais intra-zone au Luxembourg et à Malte et hors zone à
Londres ! Il s’agit bel et bien d’une
vaste supercherie offrant à la BCE une encore plus grande ingérence dans les différentes
économies nationales!
Il revient donc à la BCE et
plus précisément à la concertation entre cette dernière et les
méga-banques d’établir de nouveaux standards, de nouvelles
règles, connivences littéralement étouffées par les mass-médias et les
responsables politiques UMP et PS, eux-mêmes artisans du Coup-Etat
constitutionnel des 4 et 7 février 2008. Cette montée en puissance de la banque
centrale s’inscrit évidemment dans l’esprit ultralibéral du Traité de Lisbonne
l’autorisant à s’arroger le droit de faire rigoureusement n’importe quoi sans en référer directement aux peuples mais
en rapportant son action aux exécutifs des méga-banques et aux lobbyistes de la
Commission et par extension via son président Mario Draghi (ex Goldmann Sachs
Europe) au FMI (partie prenante de la dite « troïka »), à Wall Street
(corolaire de la City de Londres et de Francfort) et à la FED (référent ultime
de la politique monétaire de l’Eurozone).
A titre inaugural de ce
nouveau paradigme, la BCE a publié le 24 Octobre 2014 son premier stress-test sur
130 « Too Big To Fail » banques d’importance. L’audit dit indépendant à savoir sous l’égide
d’un Conseil Spécial des Etats de l’Euro-zone composé de parlementaires des
Etats concernés mais aussi (et surtout !) de représentants des secteurs
bancaires, industriels et tertiaires donna un résultat médiocre de un sur cinq
soit l’échec de 24 banques (dont 9 italiennes et 3 grecques!) ou, dit autrement
un trou de 25 Mds € !, résonnant dans la presse française comme une victoire
de nos établissements de crédit sans comprendre ni l’interaction entre toutes
ces banques ni la place des produits à risques dans le bilan et (et le
hors-bilan!) !
Cet audit est en fait le
suivant d’une série de tests courant 2009 et 2011 entrepris dans le cadre du
Système Européen de Supervision Financière par l’Autorité Bancaire Européenne,
structure incestueuse basée à Londres ( !) et s’étant révélés
particulièrement désastreux dans leur incapacité à prédire la faillite des
banques irlandaises ! Octobre 2014 marque cependant une plus grande
implication de la BCE puisqu’elle en fut la coordinatrice, la conception en ressortant
toujours à l’ABE.
Plusieurs hypothèses furent
définies pour la France:
- une baisse immobilière (-20%
en trois ans ce qui est crédible),
- une hausse du chômage (+
12,2% en 2016 ce qui reste optimiste !),
- une déflation de -0,3% en
2016 (sic!),
- une chute boursière de -20% d’ici
à 2016 (rappelons que nous étions à - 43% rien que sur l’année 2008 !),
- un taux de (dé)croissance de
-1,1% en 2015 (alors qu’en 2009 la récession fut de -2,5% !),
- une hausse des taux
d’intérêt à 3,8% en 2016 (ce qui ne veut strictement rien dire tant la
situation actuelle est faussée sur ce plan- voir la seconde partie pour
explication).
Autrement dit ces cadres ne
sont que des situations édulcorées contredits sévèrement par l’étude à la même
période du ZEW (Zentrum für Euröpaische Wirtschaftsforschung), institut
allemand d’observation de l’économie européenne, montrant qu’il n’y avait quasiment
aucune banque de la zone euro ayant suffisamment de fonds propres dans son
bilan ! Les banques françaises auraient par exemple un besoin de 98,3 Mds€
si il advenait un recul de valeur de 10% de leurs actifs pour simplement
respecter une liquidité de 4% de l’actif net à court terme ! Comme le
disait Olivier Berruyer sur son site Les Crises.fr, ce qu’il faut tester est en
fait l’impact d’une faillite d’une méga-banque telle que Bank Of America ou JP
Morgan!
La BNP a 37% d’actifs
financiers risqués soit 672 Mds € sur un actif total de 1800 Mds€ pour seulement
72 Mds € de fonds propres (capital social, réserves, résultat) soit un levier
de 25 fois ceux-ci ! ! Alors que son « hors-bilan »
s’estime à 41 400 Mds€, que Bâle 3 prévoit pour 2018 un ratio de levier limité
à 33 fois (bilan et hors bilan) son noyau de base (Tier one soit capitaux + réserves
+ report à nouveau), nous nous trouvons en face d’une situation standard proche
de la farce, situation qui reste commune à toutes les banques dites
systémiques. Si il n’y a en effet que 72 Mds€ de fonds propres pour 1800 Mds€
d’actifs, il y a donc 1728 Mds€ d’endettements et aucun bénéfice
tangible ! Si la BNP perd 4% d’actifs soit 72 Mds€, elle est en
faillite ! Ce constat est d’autant
plus surréaliste que tous les actifs bancaires ont désormais depuis Bâle 3 une
pondération différenciée: chaque banque a désormais la possibilité de pondérer ses actifs en fonction
de risques qu’elle-même appréciera!! Autrement dit, si Bâle3 oblige à plus de fonds propres (10,5% du
total de l’actif), il suffira simplement de redéfinir une partie de ses avoirs
en nivelant le degré de risques !
Beaucoup de commentaires vont
cependant trop dans le sens d’une transposition de la rigueur comptable aux
établissements de crédits en oubliant de mettre en évidence le statut sui-generis
de ceux-ci. Une banque n’est ni une entreprise ni une institution para-publique
mais une entité dont l’objectif et le devenir sont la pérennité de la finance
internationale: il importe peu de savoir le faible niveau de fonds propres
quand d’une part l’ensemble de ses fonds sont le drainage de l’épargne privée
(entreprises et ménages) et institutionnelle (autres banques) et quand d’autre
part le risque est amorti par des banques centrales et des Etats prêts à tout
moment, direct et indirectement (MES/FESF) à intervenir
(« Bail-Out »). Peu importe la structure du bilan et les règles de
bonne gestion quand on est hors-cadre ou plutôt hors-bilan ! Contrairement
à ce que disent les relais médiatiques, Lehman Brothers fut en faillite par
choix politiques en accord parfait entre ses concurrents et la FED !!
Il est aussi vrai, certes, que
le bilan de la BCE a atteint 32% du PIB de la Zone soit plus de 3000 Mds€ en
juillet 2012 mais il est aussi vrai que ce bilan s’est recontracté en 2014 à
2000 Mds€ soit une perte de 1000 Mds€ en deux ans autrement dit une purge par
l’effet du Système lui-même.
Sur la perte de 1000 Mds€, 300
Mds€ furent une dévalorisation d’actifs (portefeuilles, devises), le reste
étant bien l’illustration de la trappe à liquidité: plus les taux de
refinancement sont bas, plus la spéculation est forte ! Les agents
économiques s’attendant à une remontée des taux demandent invariablement de la
monnaie et non des actifs telles des actions ou des obligations, ces dernières
étant amenées à baisser. Une perte de 700 Mds€ signifie donc bien l’échec des
politiques monétaires de la BCE à savoir un recul de l’investissement de 700
Mds€ en deux ans !... mais tout ceci est un détail comme nous le verrons
dans la seconde partie.
Ce qu’il faut retenir est la
concordance de la politique de la BCE avec celles de la FED et du FMI :
l’absence de relance économique permet de maintenir une balance commerciale
allemande forte et un Euro surévalué pénalisant les ¾ de l’Euro-zone. En
désinformant les peuples par l’idée brillante qu’un tel système les protègera
de nouvelles crises, les acteurs financiers et leurs relais politiques
favorisent l’extension d’une aire de jeu dans laquelle l’économie réelle se
fait étranglée au profit des 10% les plus riches ….ce qui nous amène aux
deuxième et troisième piliers de la BCE: le SRM ou « Single Resolution
Mechanism » et le SRF ou « Single Resolution Fund ».
Créé par un règlement du
19/08/2014, le SRM aura à définir le plan de sauvetage d’une banque en
difficulté, sauvetage exécuté par le SRF, structure adhoc mis en place à cet
effet (sous réserve de ratification par accord intergouvernemental).
En droit le SRM sera mis en
application le 1er Janvier 2016 une fois le SRF définitivement établi et s’appliquera
aux Etats membres participant déjà au SSM sous supervision de la BCE. Le SRM
pourra donc envisager une large palette « d’instruments de sauvetage »
dont le désormais connu « Bail-Out » signifiant in concreto le renflouement
par une aide allant jusqu’à 1% des dépôts des établissements bancaires de l’Eurozone
(approx 55 Mds€), intermédiation censée alléger le poids de la dette des Etat
émettant des obligations pour sauver ces mêmes banques mais qui s’avèrera vain
vu le montant ridicule des fonds alloués au SRF !
Au final cette augmentation de
la puissance de la BCE rentre en conjonction avec l’affaiblissement des
souverainetés nationales et l’accélération des tensions entre les USA et la
Russie. Le SSM reste un moyen de plus du contrôle de la zone Euro à l’encontre de
la sphère russe ou plutôt de la nouvelle alliance russo-chinoise, l’idée étant
qu’il n’y ait non seulement plus aucun Etat membre mais aussi plus aucune
banque européenne qui ne puisse s’intégrer dans cette nouvelle zone de trading
des BRICS, zone établissant un nouveau paradigme conjuguant une finance
contenue, une réappréciation de l’économie réelle comme source de développement
et surtout le poids de l’Etat national et des souverainetés dans la maitrise
des flux de capitaux et de travailleurs.
Récemment, en mars 2014, Xi
Jinping, président de la République Populaire de Chine a visité l’Allemagne et
a offert à Angela Merkel la participation de son pays à cette Nouvelle Route de
la Soie (« the New Silk Road »), une nouvelle zone commerciale allant
du Rhin à Shanghai en passant par la Russie, les Etats de la CEI d’Asie Centrale
et les parties nord-ouest et centrales de la Chine soit un potentiel incroyable
pour l’Allemagne et a fortiori pour l’UE: si l’Allemagne accepte, le reste des
Etats membres pourra suivre une voie différente, certainement plus sereine et
profitable que celle faite de menaces et de sanctions pavée par la Maison Blanche.
De toute cette situation, Washington
en est pleinement averti : ils feront donc tout pour déstabiliser l’UE et
justifier une intervention américaine via l’OTAN, une surveillance accrue par
la CIA et la NSA et des budgets décuplés pour le complexe militaro industriel.
SSM, SRM et SRF sont seulement des moyens de déstabilisation asservissant les
Etats membres à la politique extérieure des USA et la seule façon d’échapper à
la subordination au dollar est de revenir soit aux monnaies nationales soit à
une monnaie commune (je renvoie aux travaux de Jacques Sapir et Frédéric Lordon
sur ces points).
(A suivre)