lundi 9 mars 2015

Le « Quantitative Easing » de la BCE : impact de l’annonce sur les marchés


A l’instar de la FED, la BCE se lance dans la « facilitation » monétaire (dit OMT ou « Outright Monetary Transactions »), l’objectif étant d’inonder de liquidités monétaires les marchés financiers dans l’espoir que ceux-ci puissent, par un effet de percolation, relancer l’économie réelle. C’est ce qu’a fait la FED depuis 2009 sans effet réel si ce n’est la création de bulles spéculatives et l’évitement pour les grandes banques d’une mort par asphyxie.

Comme nous l’avons vu dans les précédents articles, la déflation étant désormais au rendez-vous dans l’Euro-zone, la BCE a annoncé son intention d’acheter de la dette privée et souveraine et se substituer aux créanciers dans leurs relations avec des débiteurs à risque dont font partie les Etats de l’Euro-zone. Les maturités (durées) seront dès lors variables, l’intérêt pour le cédant (les banques sur le marché secondaire) étant d’en tirer immédiatement un prix en euros sonnants et trébuchants!   

Cette décision a été prise le 22/01/2015 suite à un avis favorable de l’avocat général près la CJCE en date du 14/01/2015 dans le cadre d’une question préjudicielle posée par le Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe, avis positif mais soumis cependant à conditions.

La BCE envisage d’acheter par mois 60 Mds€ de dettes privées et publiques (avec des maturités pouvant aller jusqu’à 30 ans !) jusqu’en septembre 2016 voire même au-delà si nécessaire pour un total de 1140Mds€ le tout dans le respect du principe de proportionnalité.

Il s’agit ici d’une nouveauté depuis la création de la BCE: 80% des dettes rachetées le seront par les banques centrales nationales au sein du SEBC (Système Européen des Banques Centrales) et à proportion de la participation de chaque Etat-membre dans le capital de la BCE (de facto principalement l’Allemagne, la France et l’Italie), induisant le double effet d’une (re)nationalisation des dettes et l’amoindrissement du risque d’insolvabilité pour la BCE. Inversement cette proportionnalité est aussi une façon détournée de redonner aux banques centrales la main sur la création monétaire et là encore un moyen pour la BCE d’alléger son bilan et se déresponsabiliser.

Mais n’était-ce pas la même chose jusqu’ici?!, me diriez-vous à juste titre et je vous répondrais par la négative.

Outre des opérations de refinancement au jour le jour ou à la semaine dit MRO (Main Refinancing Operation) à des taux quasi-nuls, la BCE octroie en effet des prêts aux banques à court et moyen terme (jusqu’à 4 ans) de deux sortes: soit le LTRO (Longer-Term Refinancing Operations) pour un financement des banques contre une mise en garantie d’un avoir de même valeur, soit le TLTRO (Targeted Longer-term Refinancing Operations) pour un financement des banques à charge pour elles de réutiliser ce flux vers l’économie réelle (entreprises, ménages, etc). Ce financement se fait donc contre une garantie qui peut être n’importe quoi mais surtout une valeur de titrisation (Asset Back Securities, Collateralized Debt Obligations) autrement dit une créance représentant un agrégat de contrats bien réels (prêts auto, cartes de crédit, prêts immobiliers) dont le risque d’insolvabilité est plus ou moins élevé pour la banque. Nous retrouvons sur ce dernier point la raison d’être de ces refinancements: les LTROs ont été créés pour d’une part faire face à une carence en liquidité mais aussi pour se débarrasser de valeurs toxiques (le fameux hors-bilan).

Deux LTROs de 3 ans ont déjà été lancés en décembre 2011 et février 2012 pour un montant total d’approximativement 1000Mds€ et dont le résultat fut celui de l’ordre du nul économique sauf à avoir augmenté la masse monétaire (M3) de 400% entre 2010 et 2012 ! En ce début d’année, ils viennent donc de prendre fin, les remboursements induisant dans le jargon de la BCE une neutralisation de la masse monétaire, celle-ci ayant baissé de 75% de 2012 à fin 2014…. pour se regonfler d’octobre 2014 à ce jour de 300%: en prenant en compte les opérations de MRO et de LTRO (maturités de 3 mois à 4 ans), la BCE a en effet injecté sur les mois de janvier et février 322 Mds€ (voire 470Mds€ si j’inclue les MROs) et nous ne parlons pas encore des OMTs ni des TLTRO non encore lancés.

La BCE a déjà procédé à l’achat de dettes privées de 2010 à 2012 dans le cadre des Fonds Européens de Stabilité Financière et du Mécanisme Européen de Stabilité (avec l’aide du FMI) et compte procéder à l’achat de dettes publiques en prenant le contre-pied de la Cour de Karlsruhe mais l’aval de la Bundesbank; les milliards d’Euros prêtés aux banques par les LTROs n’auront donc servi tant les chiffres de croissance et d’inflation sont calamiteux sauf à avoir permis aux établissements bancaires d’apurer leurs comptes en extrayant les actifs douteux de leurs bilans vers la BCE, actifs qui in fine serviront de nouveau de collatéraux pour une inflation monétaire sans limite…

Dans cette perspective, le rachat d’une dette peut sembler plus sain: le créancier devient la banque centrale et la dette ne servira pas à lever des fonds indéfiniment; elle ouvre cependant une voie à la BCE tout à fait dangereuse: la création monétaire sans croissance et circonscrite territorialement à l’Euro-zone. Ce qui peut apparaître comme une bonne nouvelle pour les Etats et les entreprises a le potentiel d’obliger à une plus grande rigueur monétaire par un relèvement des taux d’intérêts et une austérité budgétaire encore accrue.

Nous avons vu dans les précédents articles que ces liquidités n’étaient pas destinées à l’économie réelle décalant de facto les sphères financière et économique. Les effets cumulés des politiques d’austérités et de la monnaie unique surévaluée (sauf pour l’Allemagne) commencent à se faire sentir: sur les 12 mois écoulés, nous avons un taux d’inflation dans l’Euro-zone de -0,6% pour le mois de janvier (-1,6% pour ce seul mois) et de -0,3% pour le mois de février, l’inflation étant calculée sur quatre groupes de produits (alimentaire, énergie, produits hors-énergie et services). Dans le même temps, l’Euro continue de baisser et en premier lieu contre l’US dollar.

Entre le 26/01/2015 et le 4/03/2015, l’Euro a perdu 1,19% soit au total une baisse de 20,29% depuis mai 2014.  Cette baisse devrait cependant ralentir mais se poursuivre, principalement par l’achat par les investisseurs de Livres Sterling, Yens, Francs Suisse et Couronnes Danoises et par la remontée du baril de plus de 14%. L’euro devrait pour autant se stabiliser par la vigueur du commerce extérieur allemand et la fin de l’attaque sur le rouble pour définitivement replonger si la déflation se confirme.

Un des signes principaux sera l’évolution à suivre des marchés actions européens (Stoxx 50 et 600), en pleine euphorie actuellement par l’injection de liquidités de la BCE - l’annonce ayant bien été perçue par les marchés - mais encourant le risque d’un éclatement de bulles si l’indice des prix confirme sa baisse dans les mois prochains.  

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